À glacer le sang

C’est à un artiste de confiance, Vadim Gluzman, que Jean-Marie Zeitouni, présent dans la salle, avait confié les rênes d’I Musici, jeudi soir. Le violoniste, devenu chef, reprenait notamment un classique de Yuli Turovsky : la transcription par Rudolf Barshaï du 8e Quatuor de Chostakovitch. Juxtaposition passionnante, Jean-Christophe Spinosi dirigera, le 8 mai prochain, la même oeuvre au même endroit.
Je ne sais comment Spinosi et Les Violons du Roy vont faire pour atteindre cette douleur et cette tension. Une comparaison, au moment d’écrire ces lignes, avec l’enregistrement de Turovsky lui-même tourne au flagrant avantage de ce que nous avons partagé, jeudi, avec Gluzman et les Musici : une musique organiquement désolée, totalement vécue.
Dans l’Allegro molto, furieux, la densité des 18 cordes tétanise et glace le sang. On admire l’unité et l’homogénéité du groupe qui se bat d’une seule et ferme voix, à la vie et à la mort.
La matière et la pâte sonore sont la clé de l’interprétation qui opère par contrastes de textures. Du pianissimo au fortissimo, tout garde la même intensité, ce qui cimente l’oeuvre, écartant le risque d’une impression d’épisodes accolés. La voix lancinante et éplorée de Julie Triquet dans le quatrième volet donnait des frissons.
Cette pugnacité qui frappait dans l’Allegro molto (on parle de vraie puissance, pas d’agitation) de Chostakovitch trouvait déjà une poignante application dans l’Adagio et fugue de Mozart. En prenant la place de premier violon, Gluzman, assis dans l’orchestre, opère avec la même sobriété et efficacité que face à ce même orchestre lors de la première partie du concert, où il juxtaposait une sorte de Tombeau de Couperin façon Schnittke et le 3e Concerto pour violon de Mozart marqués, eux aussi, par la fermeté, l’engagement et la cohésion.
À l’écoute de tels accomplissements artistiques, il apparaît que l’opération de reconquête du public reste plus que jamais le défi numéro un des Musici. Il n’y a aucune raison que leurs concerts garnissent tout juste deux tiers de la salle Bourgie, alors que l’Orchestre de chambre McGill remplit plus aisément le même lieu et qu’Arion le garnit très correctement à trois reprises par programme.
On a beau souhaiter le meilleur sort à chacune de nos valeureuses institutions musicales, le hiatus entre le regain de qualité d’I Musici et le manque de reconnaissance de ce regain par le public commence à tenir de l’injustice.