«Sur la terre»: onze nouvelles chansons quatorze ans plus tard

Pierre Flynn se dit amoureux comme jamais de la chanson.
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir Pierre Flynn se dit amoureux comme jamais de la chanson.

En chemin de Lacolle à Montréal, je réécoute Sur la terre. Je roule un peu vite. M’emporte, ce disque. Cet album que je n’attendais plus. Et dont j’attendais encore moins qu’il me fasse cet effet. C’est indéniablement un album du haut niveau Pierre Flynn — ces mélodies, ces textes, cette voix n’appartiennent qu’à lui — mais qui m’entraîne comme aucun album de Flynn ne m’a entraîné.

Dame ! Ces guitares ! Ces strummings comme des camions, qui prennent les deux voies de la 25 Nord. Ils y ont été franco avec les électriques et les acoustiques, Louis-Jean Cormier, Éric Goulet. Et ces cordes, ces vents ! Philippe Brault s’est offert un véritable jeu d’échelles et de serpents. On ne sait jamais où va aller l’orchestration. Et les séquences de vocalises ! Et ces modulations quasi prog dans Sirènes, même pas peur qu’on s’écrie jouissivement : Octobre ! Et le piano là-dedans, l’officiel piano Flynn, demandez-vous ? Complémentaire, le piano. Au milieu, sur le terre-plein de l’album. Suivant le plus souvent la pulsion basse-batterie (Mario Légaré, Marc-André Larocque). Sur la terre est un album de guitares, de cordes et de vents, avec du piano dedans. Je dirais même plus : l’album d’un band. Un navire de musique qui fend les flots et qui mène « à bon port », dont Flynn serait le « capitaine, ô capitaine » (c’est le titre de la dernière chanson).

Quand j’arrive au Placard, ma tête de pont montréalaise, c’est la joie. Pierre Flynn revient de la session de photos avec ma collègue Annik MH De Carufel, tout baigne. Ça pouffe, ça rayonne, on jurerait que le printemps a rejoint le printemps. Il va bien, notre homme, « amoureux comme jamais de la chanson », dit-il : ça s’entend sur le disque, et ça se voit entre la haie fournie de ses sourcils et sa barbe plus sel que poivre. Ai-je connu Flynn plus détendu ? Content, on le comprend, c’est pas tous les jours qu’il a un album de nouvelles chansons à proposer : on en est aux décennies dans son cas, Sur la terre paraissant très exactement 14 ans après Mirador. Ce Mirador que 10 ans séparaient du précédent Jardins de Babylone.

Faites les maths : à ce rythme-là, la rangée des F de l’étagère ne fléchira du vivant de personne. Pas envie de lui demander pourquoi tant de temps. Il a une très simple et directe chanson d’amour sur l’album, 24 images, qui répond très bien pour lui : « Tu les as vues, toi ? / Tu les as vues passer ? / 24 secondes, 24 images, 24 années ». Il commentera la chanson : « C’est mon rapport au temps qui me file entre les doigts sans que je m’en aperçoive… » L’éternité des uns, la nanoseconde des autres. « Jamais » il n’a pensé renoncer au disque, il n’émerge de nul trou noir, pas plus qu’il ne daigne descendre d’une tour d’ivoire : le fait est que Flynn, depuis la tournée en « loup solitaire » dont on avait eu pour témoin le disque Vol solo, en 2006, on l’a vu partout. « On a continué de penser à moi, du show des 100 ans du Devoir jusqu’au show de la Saint-Jean l’an dernier : je me trouve très chanceux… »

Remarquable et remarqué dans l’opéra-pop Dracula, à sa digne place parmi les douze hommes rapaillés, voix forte du récent spectacle-hommage à Brel, mais aussi volontaire des Veillées d’Amélie, habitué de l’Open Country de Mountain Daisies, il a été présent pour ainsi dire tout le temps, aussi officiellement que facultativement. À la guitare, souvent, dans les petits lieux. Lui, « de nature si contrôlante », le pianiste accompli s’abandonnant à celui qui n’est « pas capable de faire un accord barré », retrouvant « la joie du néophyte ».

Le joueur d’équipe

 

Plaisir vivifiant des rencontres, fièvre de collaborations. « J’ai commencé en joueur d’équipe, des Gladstone à Octobre. J’ai toujours eu ça en moi, le côté grégaire. Fallait seulement que le chanteur solo lâche prise, accepte de se mettre en danger. En danger, c’est relatif. Avec les Daisies, c’est de l’appui solide. Et c’est le noyau du band des Douze hommes que j’ai pris pour l’album. Et c’est avec Louis-Jean Cormier que j’ai commencé le travail, et c’est avec Éric Goulet et Philippe Brault que je l’ai poursuivi et terminé. » Le tout en deux étapes très distinctes, sur cinq ans, mêlant le meilleur des premières moutures aux nouvelles. « Éric et Philippe se sont rencontrés sans moi, et ils ont écouté le chantier, décidé de garder les guitares de Louis-Jean, par exemple. Bonne chose. J’étais pas là pour les influencer. Ce sont eux qui ont réalisé le disque, pas moi. Bonne chose. »

Ça donne cet album à la fois élégant et accessible, où le Flynn des envolées poétiques (Étoile, étoile) côtoie un Flynn au premier degré du coeur, racontant l’histoire abitibienne de sa mère (poignante Duparquet) et s’adressant à sa fille de 20 ans : « Au boulot ! Fais pas comme ton père… / Parti quelque part, dans sa lune / Dans sa bulle, toutes ces années / J’aurais pu faire mieux, je sais bien / J’aurais dû, faut me pardonner ».

« Je me suis rendu compte que je pouvais aller dans tous les registres et que ça demeurait moi. C’est la guitare qui m’a libéré, en un sens. J’écris pas pareil à la guitare. Et en spectacle, au lancement [le 7 avril, au National], je veux jouer de la guitare debout : c’est un nouveau baptême ! » Il éclate d’un rire jeune et fou. « On va voir. Si ça marche pas, je jouerai assis, c’est tout… »


Pierre Flynn - Le dernier homme

Sur la terre

Pierre Flynn, Audiogram

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