Dalila seule, si seule…

Endrik Wottrich et Marie-Nicole Lemieux en duo dans «Samson et Dalila»
Photo: Yves Renaud Endrik Wottrich et Marie-Nicole Lemieux en duo dans «Samson et Dalila»

Il existe donc, à l’Opéra de Montréal, quelqu’un pour imaginer qu’en alignant une quinzaine de panneaux verticaux habillés de motifs bleutés ou d’images d’éruptions volcaniques par des vidéographistes spécialisés dans les événements de soccer on peut accoucher d’un Samson et Dalila de Saint-Saëns !

En tant que spectacle, le Samson et Dalila, promu tel un emblème des 35 ans de l’Opéra de Montréal, est, si j’ose dire, effondrant. C’est raide, glacial et sans âme. Je ne suis pas le moins du monde hostile aux scénographies épurées — dans le genre murs et plancher. L’un des plus beaux spectacles lyriques des deux dernières années, Dialogues des Carmélites de Poulenc mis en scène par Olivier Py (le DVD est paru il y a quelques semaines), n’est que cela. Mais l’espace nu y est habillé de théâtre, d’éclairages poétiques et d’images fortes.

À Montréal, en 2 h 30, Samson et Dalila en montre trois : quelques éclairages rasants d’Éric W. Champoux, l’image du ballet du 1er acte, même si hors sujet par rapport aux volontés de Saint-Saëns, et surtout la scène des offrandes à Dagon, au 3e acte, où l’on retrouve le style du metteur en scène Alain Gauthier. Et pour cause : c’est pratiquement le seul moment où il a l’occasion de créer une image avec des accessoires.

Tristesse!

 

Mais le reste… Quelle tristesse ! Le meurtre initial d’Abimélech, provoquant la fuite des Hébreux, est scéniquement illisible ; il n’y a aucun jeu d’attirance et de séduction de Dalila qui se tient à distance de Samson au 1er acte ; la frigide scène d’amour se déroule sur un bord de trottoir, les Philistins, qui devraient rôder autour de la demeure de Dalila pour capturer Samson à la fin du 2e acte, étaient sans doute pris ailleurs, etc. Pire que cela : il ne se passe rien ; émotionnellement, on ne croit à rien.

L’une des sources de cette distanciation est musicale. Montréal n’a d’yeux que pour Dalila, mais l’opéra repose sur l’ascendant dramatique et vocal de Samson. Hélas, on passe sa soirée à se dire: « Pauvre gars, qu’est-ce qu’il doit souffrir… » Dalila n’a pas de Samson, car Endrik Wottrich n’a pas une once de typologie française dans sa voix et son émission vocale. Là où devrait briller l’éclat du métal, on a une suite de sons couverts (et je passe sur la prononciation des voyelles « u », par exemple dans « Je souïs »). Visiblement en délicatesse avec le rôle, Wottrich sauve les meubles, mais ne fait pas illusion.

Prise de rôle subtile

 

Marie-Nicole Lemieux réussit une belle prise de rôle, très subtile dans Mon coeur s’ouvre à ta voix et surtout Printemps qui commence. Le défi, pour elle, sera la maîtrise des scènes de courroux et du processus de séduction du 1er acte. La platitude de la scénographie ne l’aide pas ici, mais un boulevard s’ouvre devant elle sur les scènes internationales pour succéder à la Dalila des vingt dernières années, Olga Borodina.

Dans les rôles secondaires, la palme va à Alain Coulombe en vieil Hébreu, mais tous sont excellents, sauf Pasquale D’Alessio en messager philistin. Les choeurs convainquent. Ce serait encore mieux si leur chant distinguait la douleur des Hébreux et la veulerie des adorateurs de Dagon. Jean-Marie Zeitouni a choisi de sculpter la partition avec patience et recherche de couleurs. L’OSM était dans la fosse et cela s’entendait. Le dipôle Zeitouni-Lemieux a sauvé la soirée.

Tartufferies

 

En préambule, la ministre Hélène David et le maire Denis Coderre sont venus dire tout le bien qu’ils pensent de l’Opéra de Montréal. Assez de tartufferies, assez de discours ! Notoirement sous-financé, l’Opéra de Montréal n’a pas besoin de condescendance et de bla-bla, mais de stratégie, de moyens et d’ambition. Et là, quel éloquent exemple que ce Samson et Dalila ! L’OdM n’a même pas les moyens d’engager des danseurs pour les ballets des 1er et 3e actes. La Bacchanale, avec quelques gestes d’expression corporelle du choeur, convié ensuite à regarder sur le mur transformé en écran la projection d’un film, genre de sous-Béjart des années 70 en noir et blanc, est le moment le plus ridicule du spectacle !

Samson et Dalila

Opéra de Camille Saint-Saëns. Marie-Nicole Lemieux (Dalila), Endrik Wottrich (Samson), Gregory Dahl (le grand prêtre), Philip Kalmanovitch (Abimélech), Alain Coulombe (un vieil Hébreu), Aaron Sheppard et Christopher Dunham (Philistins), Pasquale D’Alessio (un messager), Choeur de l’Opéra de Montréal, Orchestre symphonique de Montréal, Jean-Marie Zeitouni. Mise en scène : Alain Gauthier. Décors : Anick La Bissonnière et Eric Olivier Lacroix. Projections : Circo de Bakuza. Éclairages : Éric W. Champoux. Salle Wilfrid-Pelletier, samedi 24 janvier. Reprises les 27, 29 et 31 janvier.

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