Turandot, chant du cygne de Puccini

L’Opéra de Montréal mettra un point final à sa saison 2013-2014 en présentant, à partir de samedi soir, Turandot, le dernier opéra de Puccini.
Turandot est un des plus beaux exemples d’exotisme musical. Après avoir dépeint le Japon dans Madame Butterfly, Giacomo Puccini met le cap sur la Chine. L’histoire, dans un passé non défini, à Pékin, est celle d’une princesse hautaine et cruelle, nommée Turandot, qui promet d’épouser un prince qui résoudra trois énigmes. En cas d’échec, ce sera la décapitation. La princesse Turandot possède ainsi une belle collection de têtes que des sbires promènent en général sur scène au bout de grosses piques.
Calaf est un prince, qui comme les autres est fasciné par la princesse. Il résout les trois énigmes, ce qui ennuie beaucoup la glaciale beauté, qui préfère ses princes morts plutôt que vifs. Mais Calaf ne veut pas forcer les choses. Il lance lui aussi un défi : il s’avouera vaincu si Turandot découvre son nom. Une personne connaît ce nom : l’esclave Liu, amoureuse de Calaf, qui se trouve dans la foule, avec son maître, le roi détrôné Timur, père de Calaf. La nuit dévolue à la résolution de l’énigme, personne ne dort dans Pékin (le fameux air de Calaf Nessun Dorma constate cela). Quelqu’un mourra dans l’histoire et l’amour triomphera.
Opéra inachevé
Quand un compositeurparvenu au terme de sa vie déclare : « Toute la musique que j’ai écrite jusqu’à présent me semble une plaisanterie en comparaison de la musique que j’écris en ce moment », et que ce compositeur se nomme Puccini, il y a de quoi prêter attention. Turandot a été composé entre 1921 et 1924. Toscanini en dirigea la première, en avril 1926.
Le travail de Puccini, qui ne put achever son oeuvre, s’est arrêté à la mort de Liù (oh, zut, je l’ai dévoilée !). À la première, Toscanini s’arrêta là, se retournant vers le public en disant : « Ici s’achève l’opéra du maestro. Il en était là quand il est mort. » Toscanini ne dirigera la version complétée par Franco Alfano que le lendemain, un finale qu’il coupa ensuite allègrement, ses coupes étant aujourd’hui entérinées par la tradition.
Dans Turandot, Puccini vise à marquer le genre du « grand opéra exotique » avec une débauche de moyens et des sentiments exacerbés. Turandot n’est pas seulement une princesse hautaine qui pose des énigmes fatales pour se protéger des assauts des hommes. C’est un être féroce mû par la vengeance (« Je venge sur vous, cette pureté, ce cri et cette mort ! »). De son côté, Liù, la jeune esclave qui se sacrifie pour l’homme qu’elle aime, est un archétype des héroïnes pucciniennes : Mimi, Butterfly et soeur Angélique. Par rapport aux opéras précédents, on notera aussi l’importance de la foule, qui commente, admire et fait assaut d’imprécations.
Turandot a été présenté pour la dernière fois à Montréal en octobre 2004, un spectacle dont on se rappelle la belle mise en scène de Renaud Doucet, la Liù qui avait lancé la carrière de Marie-Josée Lord, quelques éclairages étranges et, surtout, la direction ardente de Yannick Nézet-Séguin (29 ans à l’époque !).
Le spectacle de 2014 est une production d’Opera Australia, signée Graeme Murphy dans des décors et costumes de Kristian Fredrikson éclairés par John Drummond Montgomery. Cette scénographie, qui date de 1991, a été remontée en Australie en 2012 et filmée par Cameron Kirkpatrick. Publié par Opera Australia (référence OPO Z56032) en DVD et distribué au Canada par Naxos, ce spectacle présente donc la rare particularité de pouvoir être thésaurisé à domicile par les spectateurs qui le désireront. Si cela avait été le cas pour la bouleversante Madame Butterfly avec Hiromi Omura en 2008, les DVD se seraient écoulés par paquets de 25 !
Hiromi Omura sera partie prenante de ce Turandot, puisqu’elle incarnera la servante Liù, agneau dont le sacrifice fera sortir les mouchoirs… L’interprète de Turandot sera Galina Shesterneva, une soprano russe qui fait partie de la troupe de l’Opéra de Mannheim et chante Turandot au Bolshoï. Kamen Chanev, le Calaf de cette production, est un Bulgare à la carrière internationale, qui a chanté le même rôle à Rome. Dans la fosse, Paul Nadler aura la rude tâche, à la tête de l’Orchestre métropolitain, de ne pas nous faireregretter Yannick Nézet-Séguin.