La «symphonie rapaillée» en concert: le risque magnifique
Juste à voir Louis-Jean Cormier ne savoir que faire de son corps pendant la première moitié d’Au long de tes hanches, si belle première chanson de la «symphonie rapaillée» présentée pour la première fois sur scène mercredi soir à la Maison symphonique de Montréal (la deuxième ce jeudi!), j’étais éperdu de tendresse pour lui. Et, me disant qu’ils allaient tous, les Rapaillés, se prêter à cette chose extraordinairement difficile qui consiste à s’exposer VRAIMENT hors de sa zone de confort, j’étais — nous étions! — un peu avec eux sur cette scène tellement étrangère, chasse habituellement gardée des concerts classiques de l’OSM.
Oui, nous étions alliés. Exigeants néanmoins. Eh! Il s’agissait encore et toujours des mots de Miron et personne n’avait oublié la réussite incroyable de leur mise en accords de folk par Gilles Bélanger et l’interprétation en deux albums exemplaires par les 12 hommes rapaillés. Même si les audaces de la transposition orchestrale nous ont donnés un excellent troisième disque, bravo à l’arrangeur Blair Thomson et les guides Martin Léon et Louis-Jean Cormier pour cette «symphonie rapaillée» a priori improbable, ça ne garantissait rien de cette performance avec l’Orchestre symphonique de Montréal.
Risque il y avait, encore. Risque magnifique, certes, mais risque réel. Un orchestre est une grosse bête, un monstre qui domine où que l’on domine: un chanteur est nu là-dedans, fut-il en habit chic pour l’occasion. Et le fait est qu’il y a eu des moments où l’orchestre a avalé le chanteur (Jim Corcoran, intimidé, a été mangé tout rond dans Mon bel amour), et d’autres où la présence du chanteur était si puissante que l’orchestre était littéralement empoigné (Daniel Lavoie, souverain dans Ce monde sans issue).
Inévitables impondérables
Chaque chanson était un pari fou, comme sur le disque, mais avec tellement plus d’impondérables. Ne serait-ce que le niveau de la voix dans le mixage, au milieu de ces modulations parfois vertigineuses: oui, on perdait les mots, çà et là. Sauf quand c’était Michel Faubert dans La corneille, ou Yves Lambert dans Retour à nulle part: pas moyen de les enterrer, ceux-là. Leur manière parlée-chantée permettait une parfaite intelligibilité, et ils s’appropriaient physiquement la scène: Faubert l’arpentait, Lambert la piétinait de tout son corps. Pierre Flynn, lui, n’avait besoin que de laisser sa voix prendre l’espace: Ma Rose éternité resplendissait à pleins poumons.
Richard Séguin, Yann Perreau et Gilles Bélanger, à l’opposé, semblaient au service de l’orchestre, un peu coincés, et l’orchestre n’avait pas avec eux les fantastiques audaces autorisées par un Faubert ou un Lambert: les arrangements de Thomson ne faisaient pas oublier leurs versions folk sur les disques des Rapaillés, et l’on se retrouvait dans des habits de musique plus… génériques (il m’est venu en tête le thème de Belles histoires des pays d’en haut, j’ai mal à mon Miron de l’écrire). Michel Rivard, c’était nettement mieux dans le genre, son Oh secourez-moi! rappelait Le privé que le même Blair Thomson lui arrangea un jour en symphonique, mais ça ne soulevait pas pour autant, et on voulait être transporté, mené ailleurs: à moins, on était fatalement en déficit, prix à payer pour le risque magnifique.
Étonnamment dans le contexte, un Martin Léon dans son Art poétique, ou un Vincent Vallières dans Le camarade, parvenaient à se distinguer par la douceur, et l’orchestre s’adaptait tout naturellement à eux (plutôt que le contraire): leur ferveur était pourtant grande, mais rendue comme s’ils étaient seuls avec nous, et l’attention s’en trouvait maximisée. Autant un Lambert était maître de cérémonie, domptant l’orchestre de son harmonica comme s’il avait eu un fouet, autant Vallières ramenait l’orchestre à son échelle à lui, humaine très humaine.
Mais qu’on me comprenne bien: toutes ces tentatives, les réussies et les moins réussies, permettaient de célébrer la poésie de Miron, et on les applaudissait toutes (on n’avait à se plaindre vraiment que du veston trop clair du chef d’orchestre Jean-François Rivest, qui attirait toute la lumière et l’éloignait des chanteurs: de grâce, changez-en jeudi). Même dans ses moments malhabiles, la soirée avait quelque chose d’historique. Le geste était TOUJOURS splendide, et l’orchestre avait des mouvements que l’on ressentait de haut en bas de l’échine, surtout dans les pièces les plus audacieusement arrangées (en vérité, plus Thomson a été loin dans ses arrangements, meilleur l’orchestre était dans ses envolées).
Peut-être bien que ce jeudi, Jim se ressaisira, que le mixage sera parfait, qu’on aura mis au point des éclairages conséquents, que Yann aura trouvé un pantalon de circonstance: un tel spectacle porte l’odieux de ne jamais être peaufiné comme il le devrait. N’empêche qu’un tel labo de création collective dans un lieu aussi noble est une expérience trop rare pour ne pas être chérie. Avoir vécu cette «symphonie rapaillée», dans tous ses états, aura été un privilège.
***
La Fabrique culturelle, plateforme numérique de Télé-Québec, a mis en ligne des extraits vidéo captés lors de l'enregistrement de l'album de la Symphonie rapaillée à la Maison symphonique de Montréal.
Voici l'extrait avec Louis-Jean Cormier, interprète et co-réalisateur:
Oui, nous étions alliés. Exigeants néanmoins. Eh! Il s’agissait encore et toujours des mots de Miron et personne n’avait oublié la réussite incroyable de leur mise en accords de folk par Gilles Bélanger et l’interprétation en deux albums exemplaires par les 12 hommes rapaillés. Même si les audaces de la transposition orchestrale nous ont donnés un excellent troisième disque, bravo à l’arrangeur Blair Thomson et les guides Martin Léon et Louis-Jean Cormier pour cette «symphonie rapaillée» a priori improbable, ça ne garantissait rien de cette performance avec l’Orchestre symphonique de Montréal.
Risque il y avait, encore. Risque magnifique, certes, mais risque réel. Un orchestre est une grosse bête, un monstre qui domine où que l’on domine: un chanteur est nu là-dedans, fut-il en habit chic pour l’occasion. Et le fait est qu’il y a eu des moments où l’orchestre a avalé le chanteur (Jim Corcoran, intimidé, a été mangé tout rond dans Mon bel amour), et d’autres où la présence du chanteur était si puissante que l’orchestre était littéralement empoigné (Daniel Lavoie, souverain dans Ce monde sans issue).
Inévitables impondérables
Chaque chanson était un pari fou, comme sur le disque, mais avec tellement plus d’impondérables. Ne serait-ce que le niveau de la voix dans le mixage, au milieu de ces modulations parfois vertigineuses: oui, on perdait les mots, çà et là. Sauf quand c’était Michel Faubert dans La corneille, ou Yves Lambert dans Retour à nulle part: pas moyen de les enterrer, ceux-là. Leur manière parlée-chantée permettait une parfaite intelligibilité, et ils s’appropriaient physiquement la scène: Faubert l’arpentait, Lambert la piétinait de tout son corps. Pierre Flynn, lui, n’avait besoin que de laisser sa voix prendre l’espace: Ma Rose éternité resplendissait à pleins poumons.
Richard Séguin, Yann Perreau et Gilles Bélanger, à l’opposé, semblaient au service de l’orchestre, un peu coincés, et l’orchestre n’avait pas avec eux les fantastiques audaces autorisées par un Faubert ou un Lambert: les arrangements de Thomson ne faisaient pas oublier leurs versions folk sur les disques des Rapaillés, et l’on se retrouvait dans des habits de musique plus… génériques (il m’est venu en tête le thème de Belles histoires des pays d’en haut, j’ai mal à mon Miron de l’écrire). Michel Rivard, c’était nettement mieux dans le genre, son Oh secourez-moi! rappelait Le privé que le même Blair Thomson lui arrangea un jour en symphonique, mais ça ne soulevait pas pour autant, et on voulait être transporté, mené ailleurs: à moins, on était fatalement en déficit, prix à payer pour le risque magnifique.
Étonnamment dans le contexte, un Martin Léon dans son Art poétique, ou un Vincent Vallières dans Le camarade, parvenaient à se distinguer par la douceur, et l’orchestre s’adaptait tout naturellement à eux (plutôt que le contraire): leur ferveur était pourtant grande, mais rendue comme s’ils étaient seuls avec nous, et l’attention s’en trouvait maximisée. Autant un Lambert était maître de cérémonie, domptant l’orchestre de son harmonica comme s’il avait eu un fouet, autant Vallières ramenait l’orchestre à son échelle à lui, humaine très humaine.
Mais qu’on me comprenne bien: toutes ces tentatives, les réussies et les moins réussies, permettaient de célébrer la poésie de Miron, et on les applaudissait toutes (on n’avait à se plaindre vraiment que du veston trop clair du chef d’orchestre Jean-François Rivest, qui attirait toute la lumière et l’éloignait des chanteurs: de grâce, changez-en jeudi). Même dans ses moments malhabiles, la soirée avait quelque chose d’historique. Le geste était TOUJOURS splendide, et l’orchestre avait des mouvements que l’on ressentait de haut en bas de l’échine, surtout dans les pièces les plus audacieusement arrangées (en vérité, plus Thomson a été loin dans ses arrangements, meilleur l’orchestre était dans ses envolées).
Peut-être bien que ce jeudi, Jim se ressaisira, que le mixage sera parfait, qu’on aura mis au point des éclairages conséquents, que Yann aura trouvé un pantalon de circonstance: un tel spectacle porte l’odieux de ne jamais être peaufiné comme il le devrait. N’empêche qu’un tel labo de création collective dans un lieu aussi noble est une expérience trop rare pour ne pas être chérie. Avoir vécu cette «symphonie rapaillée», dans tous ses états, aura été un privilège.
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La Fabrique culturelle, plateforme numérique de Télé-Québec, a mis en ligne des extraits vidéo captés lors de l'enregistrement de l'album de la Symphonie rapaillée à la Maison symphonique de Montréal.
Voici l'extrait avec Louis-Jean Cormier, interprète et co-réalisateur: