Jean-Louis Foulquier, francofou chantant
À tous les ans, il est à La Rochelle, au rendez-vous des FrancoFolies: c'est Pierre Le Reun, spécialiste du disque français des années 50 et 60, propriétaire d'une boutique spécialisée à Nantes.
L'été durant, il se promène de festival en festival avec son étalage de raretés. Bien posté à l'angle de la rue Saint-Nicolas et du Quai Louis-Durand, il est juste sur mon chemin, entre l'hôtel et la salle de presse. Evidemment, il me voit venir, le bougre, avec mon regard qui scintille et mes francs qui bruissent. Pas fou, il m'offre exactement ce que je veux, des compilations introuvables chez nous de Ronnie Bird, de Nino Ferrer ou des Kinks, et je me ruine joyeusement. Immanquablement, chaque année, je lorgne le même 45-tours avantageusement positionné sur son présentoir, et je me dis que je vais bien finir par l'acheter. Sur la pochette, je vous le donne en mille: Jean-Louis Foulquier, encore ado, arborant une magnifique coupe Beatles, frange sur le front. Foulquier chanteur?Jean-Louis Foulquier, faut-il le rappeler, n'est pas n'importe qui. C'est la figure de proue des FrancoFolies de La Rochelle. C'est également «la dame pipi de la chanson française». Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Libération, un peu méchamment d'ailleurs.
Mais c'est quand même vrai. La chanson française, c'est sa vie. Il la chérit, la soigne et la protège avec le dévouement et la tendresse d'une mère. Une mère célèbre. Animateur-vedette à la radio de France-Inter depuis bientôt deux décennies, il a joué dans 22 films, incarné Marco Polo au théâtre, et sa gueule d'aventurier mi-Claude Brasseur mi-Lino Ventura ne s'oublie pas une fois qu'on l'a vue. Les FrancoFolies de La Rochelle, c'est sa grande fierté, son bébé, qu'il a mis au monde il y aura tout juste dix ans l'été prochain. Un bel enfant pétant de santé qui a lui-même fait des petits: depuis cinq ans, Montréal a ses propres FrancoFolies, Blagoevgrad (en Bulgarie) en est déjà à sa troisième édition, et l'on nous annonce pour l'été 94 les toutes premières FrancoFolies belges, à Spa.
Quai des brumes en rap
Comprenez donc que je me marrais doucement à la vue du 45-tours (intitulé Dans l'air flottait son parfum ou quelque chose comme ça), que je considérais évidemment comme une erreur de jeunesse, et que je ne manquerais pas de lui brandir sous les narines ou jour ou l'autre. Eh bien, j'ai l'air fin. Voilà que Foulquier vient de lancer un premier album, à 50 berges bien sonnées. Erreur de jeunesse, mon oeil. L'album, que la critique française attendait avec la proverbiale brique et l'inévitable fanal, a été fort bien reçu, et pour cause. Il est absolument valable, pertinent, bien fait, carrément jouissif par moments (Le bel âge, Paris Cinéma), touchant à d'autres (Putain qu't'es belle, Charente Maritime, To See The Sea), farci de musiques envoûtantes (signées Romain Didier) et de textes drôlement bien fichus (écrits par Alain Leprest, un brillant jeune auteur-compositeur-interprète que Foulquier a pris sous son aile). Un album qui s'écoute mieux la nuit, à la fois très vieux genre et résolument moderne: on dirait Jean Gabin à la rencontre de MC Solaar. Quai des brumes en rap.
Tout compte fait, c'est Foulquier qui se marre quand je lui rappelle, pas loin du bar à l'Hôtel des gouverneurs, ses premiers pas dans la chanson. «Quand je suis monté à Paris de La Rochelle, raconte-t-il, j'ai d'abord fait du cabaret, comme chanteur. L'outil promotionnel, pour se faire connaître, c'était le 45-tours. J'en ai donc enregistré quelques-uns, comme ça, pas très bons. À l'époque, en trois heures, t'avais les orchestrations, la voix, tout. En même temps, pour arrondir les fins de mois, je suis entré à la radio comme standardiste, la nuit. Petit à petit, j'ai monté en grade, alors que les cabarets fermaient les uns après les autres. Je suis passé d'un côté à l'autre sans m'en rendre compte, sans en souffrir. D'autant que j'ai toujours fait de la radio-spectacle, entre guillemets. Je recevais mes potes des cabarets dans mes émissions.»
Ses émissions à France-Inter, de fait, sont légendaires: la très populaire Pollen, bien sûr, qu'il anime sans discontinuer depuis 1984, mais surtout la première qui ait vraiment compté, Studio de nuit, lancée en janvier 1975, une sorte de bivouac des ondes où les petits et grands, les consacrés et les espoirs de la chanson française se croisaient, s'entrechoquaient, se mélangeaient et se découvraient les uns les autres.
Tout pouvait s'y passer, et tout s'y passait effectivement. Brassens, une nuit, y a chanté du Enrico Macias. Renaud y a débuté, tout tremblant. «Un directeur qui m'avait compris m'a donné carte blanche, poursuit Foulquier. Au départ, c'était entre trois et cinq heures du matin, et après, on est passé de minuit à trois heures. J'ai ouvert mes portes. Je savais qu'il y avait des putains de talents qui n'avaient pas accès à la radio. C'est comme ça que j'ai vu (Daniel) Balavoine débarquer et créer sa première chanson devant moi, au piano. Le miracle a été que des gens comme Barbara, Brassens et Ferré m'ont apporté leur caution. Ils ont senti que c'était là que ça se passait, alors que le métier s'en foutait totalement: à deux heures du matin, on ne vend pas de disques.»
Belle famille!
Le retour à l'active de Foulquier-le-chanteur s'est produit tout aussi naturellement, sans trop y faire attention. «C'est né ici, au bar de l'hôtel, il y a trois ans, à deux ou trois heures du matin. Je suis tombé sur Romain Didier (un autre grand chansonnier méconnu), qui faisait les FrancoFolies, et on a décidé de boire un dernier verre. Comme j'étais fatigué, j'avais la voix dans les godasses. Sous forme de boutade, il me sort: ah, j'aimerais bien mettre ta voix grave en musique! On a commencé à délirer, et finalement, on l'a fait.» En toute discrétion, quelques copains-copines se sont pointés au studio. Paul Personne a laissé quelques jolies notes de guitare slide sur Une auto tourne dans la ville, Liane Foly quelques vocalises à la fin de Carré blanc, et Patricia Kaas l'écho du refrain de Faut pas croire. Des présences discrètes, presque en filigrane. «Des clins d'oeil», précise Foulquier, visiblement ravi.
Mais n'était-ce pas un peu dangereux, pour le Foulquier porte-étendard de la chanson française, de prêter flanc ainsi? Un bide aurait pu déteindre sur les FrancoFolies, non?
Foulquier hausse les épaules et sourit. «Ce qui me passionne, c'est ce métier, sous toutes ses facettes. Quand, un jour, on m'offre de faire un album, je ne peux pas rater ça. Au fond, qu'est-ce que je risque? De me casser la gueule, de ne pas être bon, que la presse me tire dessus? Si c'est comme ça, j'en ferai plus. Mais en même temps, il y a des gens qui prennent des risques autrement plus grands dans la vie. Prendre le risque de se faire plaisir, c'est pas bien grave.»