Le Festival d’été, un «bum» de bonne famille

Encore cette année, le Festival d’été de Québec (FEQ) propose un alignement de vedettes comparable à celui des plus gros festivals américains, comme Bonnaroo et Coachella. Or son public est complètement différent. Portrait d’un colosse pas comme les autres.
Le directeur de la programmation, Louis Bellavance, feuillette devant nous les affiches de Sasquatch, Coachella, Bonnaroo… « On a le plus gros “line-up” en Amérique du Nord », lance-t-il.
En mai, le réputé chroniqueur Larry Leblanc lui donnait raison. « Le Big Bang de la saison des festivals n’est peut-être pas Bonnaroo, Coachella ou même Glastonbury. Mais un festival vieux de quarante ans qui dure onze jours sur les plaines d’Abraham à Québec », écrivait-il sur le site Celebrity Access.
Or la comparaison s’arrête à la programmation, précise le directeur Daniel Gélinas. Contrairement aux grands festivals américains, le FEQ est géré par un organisme à but non lucratif. « On a un côté communautaire. On veut offrir au public une culture à laquelle il n’aurait pas accès autrement. Nous, on cherche à équilibrer le budget. Les grands festivals américains, eux, ont des actionnaires. Leur but, c’est de faire de l’argent. […] C’est vraiment des “business”. Ils ont des clubs de hockey, des arénas. »
Souvent, ces événements se déroulent dans des champs au milieu de nulle part. Les maniaques de musique viennent de partout pour voir leurs idoles, camper et faire la fête. L’équivalent « d’immenses Woodstock en Beauce », résume Daniel Gélinas.
« Le Festival d’été dure onze jours. Eux, c’est trois ou quatre. Ce qui permet à des trippeux de musique de partir en voyage juste pour ça, explique Louis Bellavance. Nous, le gros de notre clientèle [extérieure], c’est des gens qui viennent en famille. »
La responsable des communications, Luci Tremblay, renchérit. « Sur les marchés étrangers, notre communication est presque toujours faite comme ça. […] On n’attirera pas le touriste américain en lui disant de venir voir Lionel Richie. Les gens de Chicago ou de New York, ils l’ont eu 40 fois dans leur ville. »
Dans le radar de l’industrie
Rob Zifarelli est l’agent torontois de Patrick Watson. Sa compagnie représente aussi les Black Keys, Feist, Billy Talent, Guns N' Roses et des dizaines d’artistes qui se produisent au Festival d’été. Pour lui, l’événement est devenu un « leader » au Canada.
Le FEQ se distingue d’abord par sa grosseur et son budget de programmation, dit-il. « Quand j’ai commencé il y a 20 ans, je ne les connaissais pas vraiment, mais depuis cinq ans, ils se sont positionnés sur l’échiquier mondial en compétition avec des festivals comme Coachella et Lollapalloza. »
En fait, son budget total est comparable à celui du Festival international de jazz de Montréal (22 millions contre 21), mais la part des cachets est presque trois fois plus élevée (8 millions contre 2,7).
Selon M. Zifarelli, le FEQ est devenu une précieuse porte d’entrée vers le public de Québec. « Parce que la population est majoritairement francophone, le marché de Québec est plus difficile à percer pour nous. Le Festival d’été nous permet de présenter nos artistes à un plus large public. »
Quant aux fans de l’extérieur, c’est autre chose. « Le Festival d’été de Québec est dans le radar de l’industrie, des agents, des producteurs. Mais les fans de musique, même dans l’ouest du Canada et des États-Unis, ne le connaissent pas. »
Devrait-il miser là-dessus ?Interrogée à ce sujet, l’équipe du FEQ tient un discours ambigu. « Ça va être difficile », répond Louis Bellavance, au moment même où Luci Tremblay lance « qu’il reste de la place ».
C’est que la population de Québec participe en grand nombre, rappelle Daniel Gélinas. « On évalue qu’environ 220 000 personnes sont venues au Festival dans la région de Québec. C’est une personne sur trois ! »
Le Festival d’été vu de la France
C’est là tout l’intérêt de l’événement, selon Patrick Simonin de TV5-Monde. Pour la première fois cette année, l’animateur français va couvrir le festival pendant plusieurs jours sur le site des Plaines. Ce qui l’intéresse, c’est la spécificité québécoise sur scène et dans la foule.
« Ce que je trouve marquant, c’est l’implication des Québécois dans le Festival. » Il n’en est pas revenu d’apprendre que des dizaines de milliers de personnes achetaient leur laissez-passer sans connaître la programmation. Sans parler des comptes rendus minutieux de chacun des spectacles par les journaux locaux.
« Des festivals, il y en a partout, mais on n’a pas souvent l’occasion d’en voir qui soient si intégrés à la vie des gens. […] Cette gourmandise est fascinante pour nous. »
Mais attention à la place qu’on donne aux artistes québécois sur les Plaines, dit M. Simonin. « C’est peut-être une chose à ne pas oublier. Guns N’ Roses et Def Leppard, on peut les voir ailleurs, mais il y a juste à Québec qu’on peut voir Jean Leloup chanter devant 100 000 personnes comme l’an dernier. C’est important qu’il y ait des artistes francophones sur la grande scène. Ce serait dommage si ça diminuait. »
Chaque fois que la question est soulevée, Daniel Gélinas rétorque que son organisation cède aux demandes de la majorité des festivaliers et que ce ne sont pas tous les artistes qui peuvent remplir les Plaines. C’est aussi vrai pour les artistes américains, note-t-il. « Le problème, c’est que les vedettes dites rassembleuses qui vont chercher trois générations sont toutes en train de mourir. »
Les publics sont de plus en plus segmentés, et c’est d’ailleurs pour s’adapter que le FEQ a commencé à ouvrir la porte au techno. « Tout est beaucoup plus niché. Tu peux aller chercher le top 3 mondial dans la musique électronique, comme Tiësto cette année, mais ce n’est pas avec ça que tu vas attirer le gars de 65 ans qui trippe sur Bon Jovi. »
Un public trop sollicité ?
Autre défi : les prix. Avec la baisse des ventes de disques, les artistes misent de plus en plus sur les festivals pour gagner de l’argent. « Depuis dix ans, les cachets ont probablement quadruplé », explique Louis Bellavance. Seulement cette année, il a observé une augmentation de 10 à 20 %.
Les festivals sont plus payants que les spectacles d’arénas, ajoute M. Gélinas. « Ce sont des cachets garantis. La capacité de payer est là et il y a beaucoup de festivals. […] Ils peuvent amasser beaucoup d’argent sans prendre de risques et sans traîner 40 ou 50 « vans » comme dans les arénas. »
Or les festivals ne pourront pas soutenir la croissance des coûts éternellement, précise le directeur. « En Europe, il commence à y avoir un ralentissement. Ils disent que c’est trop cher et que ça s’adresse [à des] jeunes qui n’ont plus d’argent. »
À Québec, les laissez-passer du festival se sont envolés moins rapidement cette année qu’en 2011 et 2012. Mais l’organisation ne semble pas trop s’alarmer. « On a quand même vendu 85 000 laissez-passer à l’aveugle en février », souligne Luci Tremblay. Et le contexte a changé, concède Louis Bellavance. « C’est peut-être l’économie, et il y a une abondance d’offres. »
Le Festival d’été s’est en quelque sorte concurrencé lui-même via sa compagnie soeur qui a fait venir Roger Watters l’an dernier et qui ramène Paul McCartney cet été. Et il y a Québécomm qui, après Madonna l’an dernier, produit un spectacle de Céline Dion à la fin de juillet. Interrogé là-dessus, M. Gélinas minimise son impact. « Ce n’est pas une tendance lourde. »
Or ce n’est pas tout. Bientôt, il lui faudra aussi composer avec l’amphithéâtre. Pour le rentabiliser - surtout s’il n’y a pas d’équipe de hockey -, il faudra le remplir souvent avec de gros spectacles. D’où le risque d’une trop grande offre de spectacles.
« C’est le marché qui va décider, croit Daniel Gélinas. S’il y a trop d’offres, il y en a qui vont tomber ou s’affaiblir inévitablement. » Chose certaine, le Festival n’a pas l’intention de perdre sa place. « On est condamnés à se réinventer. Il faut qu’on soit en avant de la parade. Il faut garder notre position. »
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Les grosses pointes des festivals
Coachella (Californie)
Dates : du 12 au 14 avril et du 19 au 21
Têtes d’affiche : Blur, Red Hot Chili Peppers, The XX, Wu-Tang Clan, Sugar Ros, The Stone Roses
Prix du laissez-passer : 350 $ (CAN)
Sasquatch (Washington)
Dates : du 24 au 27 mai
Têtes d’affiche : Mumford Sons, Vampire Weekend, Tallest Man on Earth, Cake, Empire of the Sun, Macklemore Ryan Lewis
Prix : 337,50 $
Bonnaroo (Tennessee)
Dates : du 13 au 16 juin
Têtes d’affiche : Paul McCartney, Tom Petty and the Heartbreakers, Björk, The Lumineers, Passion Pit, Of Monsters and Men
Prix : 269 $
Paléo (Suisse)
Dates : du 23 au 28 juillet
Têtes d’affiche : The Smashing Pumpkins, Phoenix, Neil Young, Santana, Sugar Ros, Nick Cave and the Bad Seeds
Prix : 354 $
Ottawa Blues Fest (Ontario)
Dates : du 4 au 14 juillet
Têtes d’affiche : The Black Keys, Alice in Chains, Weezer, Björk, Rush, Jimmy Eat World
Prix : 262 $
Festival d’été de Québec (Québec)
Dates : du 4 au 14 juillet
Têtes d’affiche : Stevie Wonder, Guns N’ Roses, The Black Keys, Tiësto, Bruno Mars, Weezer
Prix : 76 $