Jeunes chanteurs d’opéra cherchent vitrines à l’étranger

Le vivier des jeunes chanteurs d’opéra québécois et canadiens est impressionnant. Mais il n’est pas toujours facile de démarrer une carrière. Aucune initiative leur ouvrant des portes n’est à négliger. Il en va ainsi du programme des Jeunes Ambassadeurs lyriques, qui organise dans quelques semaines sa vingtième série d’auditions.
Ce programme a été lancé, en 1994, par Alain Nonat, chanteur diplômé du conservatoire de Paris, vivant au Québec depuis 36 ans, qui créa en 1976 le Théâtre Lyrichorégra 20, destiné à faire la promotion de l’art lyrique auprès du grand public et des jeunes du milieu scolaire. Le projet des Jeunes Ambassadeurs lyriques vise à optimiser l’insertion professionnelle des jeunes artistes canadiens en Europe et en Asie.
Il ne s’agit pas là du seul programme et de la seule aide au lancement de la carrière des jeunes chanteurs après leur scolarité. La Fondation Jacqueline Desmarais offre un soutien souvent déterminant (12 boursiers en 2012 pour un montant non rendu public) à l’élite de nos jeunes artistes (Michèle Losier, Julie Boulianne, Layla Claire, Marianne Fiset et, précédemment, Marc Hervieux ou Manon Feubel).
De même, la Fondation des Jeunesses musicales du Canada octroie annuellement en moyenne 80 000 $ en bourses dans le cadre de projets particuliers, tels des auditions ou stages à l’étranger. Il y a aussi des concours, dont le Concours de musique du Canada, le Prix d’Europe (ce dernier n’ayant toutefois pas couronné de chanteur depuis 1972 !) et le Concours musical international de Montréal, remporté par deux Québécois, Marianne Fiset et Philippe Sly, au cours des dernières années.
Pour le chanteur d’ici, le marché principal est à l’export ! Les scènes au pays ne sont pas assez nombreuses. En matière de débouchés, on pense aux scènes françaises, qui ont adopté par exemple le ténor Antonio Figueroa ou les barytons Étienne Dupuis et Phillip Addis. On pense beaucoup moins souvent aux nombreux théâtres allemands, qui montent leurs spectacles à l’aide des chanteurs de leur propre troupe. La mezzo-soprano Mireille Lebel se trouve ainsi présentement en troupe au théâtre d’Erfurt, la soprano torontoise Leah Gordon, inconnue ici, chante à Nuremberg des rôles aussi éminents que Donna Anna dans Don Giovanni de Mozart et Eurydice dans l’Orfeo de Gluck.
Se faire entendre
Les exemples de ces deux chanteuses illustrent à leur meilleur les bienfaits potentiels du système élaboré par Alain Nonat. « Sur 120 à 140 candidats, nous choisissons de 18 à 20 chanteurs qui sont nommés Jeunes Ambassadeurs lyriques, précise Alain Nonat au Devoir. Nous envoyons certains chanteurs dans des concours de chant auxquels nous sommes associés en Europe. Puis nous avons le gala annuel en novembre. »
Ce gala est le moment-clé, puisque sont invités « huit ou neuf directeurs de maisons d’opéra de France, d’Allemagne ou de Pologne ».
Là se situent la force mais aussi l’origine des grandes disparités de réactions quand nous interrogeons d’anciens lauréats sur les bienfaits d’avoir été des ambassadeurs. En coulisse, le spectre va de « cela ne m’a été d’aucune aide » à « cela m’a permis de me développer dans mon métier et ma carrière ».
Personne n’exagère ni dans un sens ni dans l’autre. Simplement, le gala est une sorte d’audition géante et, en fonction du profil et du sérieux (là aussi fluctuant) des professionnels qui y assistent, des portes plus ou moins grandes peuvent s’ouvrir. C’est un peu une question de chance.
Si l’intendant ou le conseiller artistique d’une maison allemande est en quête de chanteurs pour une troupe, ce peut être le jack-pot. Mireille Lebel a ainsi été repérée par l’ex-intendant de l’Opéra de Leipzig Henri Maier. Michèle Losier, quatre fois ambassadrice, a obtenu ses premiers contrats en France et juge son expérience « positive ». C’est ce dont témoignent plusieurs artistes, tels Julie Boulianne, Ethel Guéret, Pascal Charbonneau, Audrey Larose-Zycat ou Chantal Nurse, qui se produit en ce moment sur la scène de l’Opéra de Montréal et a chanté au Japon grâce à son statut d’ambassadrice.
L’intarissable Alain Nonat met en avant « près de 400 lauréats canadiens, plus de cent partenaires dans vingt pays, 85 engagements dans des productions ou des troupes de théâtre lyrique et 55 engagements pour des concerts ou des tournées de concerts ». Le budget est de 110 000 $ par année et Alain Nonat avoue « passer son temps à quêter », le mécène le plus impliqué étant la Fondation Velan, qui a pris le relais de la Banque Royale, soutien du programme durant les cinq premières années.
L’argent récolté par l’organisme permettra par exemple, ce printemps, de financer un voyage pour Marie-Josée Lord afin qu’elle puisse chanter Traviata à Würzburg en Allemagne. Par sa nature, l’opération révèle le côté parfois glauque du métier : voilà une maison d’opéra prête à engager un chanteur si ce dernier paie son voyage ! Ces types de relations parfois étranges sont de plus en plus souvent dénoncés par des artistes en Europe, par exemple sur une page Facebook nourrie par une communauté d’artistes des pays germaniques appelée Kuenstlergagen. « Marie-Josée Lord est inconnue en Europe, donc personne ne veut payer le transport », laisse tomber Alain Nonat, fataliste.
À un autre niveau, parmi les ententes, celle de l’échange Québec-Bavière permet de recevoir deux intendants bavarois chaque année sans bourse délier. Ces aides québécoises sont réservées aux chanteurs québécois.
Les nouveaux débouchés promis par Alain Nonat à ses ambassadeurs sont russes, avec l’Ontarienne Shantelle Przybylo, première lauréate accueillie en 2014 par le théâtre Helikon de Moscou et des perspectives avec Opera Novaya, et chinois. « Nous avons envoyé en 2012 deux chanteurs, Emma Parkison et Chantal Nurse, pour une tournée de dix concerts en Chine », se réjouit-il. Deux autres artistes, Arianna Sovernigo de Vancouver et Rachel Tremblay de l’Atelier de l’Opéra de Montréal, les suivront dès le mois de juin.
Les auditions montréalaises de la vingtième cuvée des Jeunes Ambassadeurs lyriques se tiendront pour leur part les 22 et 23 avril, avec une date limite d’inscription fixée au 1er avril. Des chanteurs seront aussi auditionnés à Toronto et à Vancouver.