Iván Fischer, créateur d’orchestre

Mardi, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) accueille l’Orchestre du Festival de Budapest, un ensemble remarquable qui, avec son chef et créateur Iván Fischer, est à la tête de l’une des discographies les plus glorieuses des vingt dernières années.
Il est difficile de décrire à quel point la visite de ce chef et de son orchestre nous rend positivement fébrile. Tout d’abord, pour la programmation de la 2e Symphonie de Rachmaninov, un chef-d’oeuvre que l’on entend trop rarement ici et dont Iván Fischer et son orchestre ont gravé l’une des grandes références discographiques. Ensuite, parce que, pour entendre un concert d’Iván Fischer, il faut normalement traverser l’Atlantique.
Le chef hongrois le confirme au Devoir : sa vie de nomade de la musique est finie. « J’ai quasiment stoppé toute activité de chef invité il y a déjà quelques années. J’aime travailler avec mes orchestres, celui du Festival de Budapest et, désormais, l’Orchestre du Konzerthaus de Berlin. Pour le reste, je me limite à l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et au Philharmonique de Berlin. » Iván Fischer jure qu’il ne s’agit pas tant d’une décision née de frustrations que d’une simple logique liée à « l’impossibilité d’atteindre, quand il faut repartir de zéro, le niveau très élevé qu[’il peut] obtenir avec [son] orchestre ».
Un facteur de consolidation
Né en 1951 en Hongrie - il fête son 62e anniversaire ce dimanche en dirigeant à New York -, Iván Fischer est l’un des nombreux disciples de Hans Swarowski à Vienne, ce pédagogue qui forma également Claudio Abbado et Zubin Mehta. Chose peu commune, il s’est intéressé très tôt à la musique ancienne et fut assistant de Nikolaus Harnoncourt dans ses jeunes années.
Son audace exceptionnelle lui a valu de retourner en Hongrie en 1983 et d’y créer un ensemble d’élite, l’Orchestre du Festival de Budapest, qui se réunissait alors à quelques occasions ponctuelles, avant de devenir un orchestre permanent en 1992. Fischer et son orchestre ont immédiatement attiré l’attention par leurs enregistrements sur étiquette Philips. Aujourd’hui encore, l’orchestre est quasiment entièrement hongrois : « Lorsque nous serons à Montréal, il y aura environ 85 Hongrois et 5 ou 6 non-Hongrois sur scène, mais si l’orchestre est l’un des meilleurs du monde, ce n’est pas forcément parce qu’il est Hongrois », estime le chef. Parmi les instruments les plus spécifiques, Iván Fischer cite « les cordes, en raison d’influences croisées viennoises, russes, tziganes ».
Alors que dans tous les pays du bloc de l’Est (République tchèque et Russie, notamment) la chute du Mur a provoqué un véritable exode des meilleurs musiciens d’orchestre, l’Orchestre du Festival de Budapest a été un facteur de consolidation. « Au milieu des années 80, on pouvait déjà voyager et sortir du pays avec plus de facilité. La chute du Mur n’a donc pas changé radicalement la situation. Par contre, le succès de l’orchestre a été un facteur amenant les meilleurs musiciens à rester au pays. J’y ai travaillé très fort, et avec succès. Nous sommes donc, de ce point de vue, une exception à l’Est. »
Si les musiciens sont restés, c’est aussi parce qu’il se passait quelque chose de musicalement fort stimulant et que la Hongrie était alors le mieux loti des pays de l’Est.
Père de famille
La réputation d’Iván Fischer est celle d’un travailleur forcené. « Je ne suis pas un chef autoritaire, je suis là pour encourager la créativité de mes musiciens et je me sens comme un partenaire de musique de chambre, père d’une famille heureuse. Si nous travaillons dur, c’est parce que, collectivement, nous aimons cela et avons l’ambition de porter la musique à son plus haut niveau. »
Pour atteindre ce niveau, Iván Fischer ne multiplie pas le nombre de répétitions : « Ce n’est pas le nombre qui compte ; c’est la concentration qui permet de travailler plus. Nous ne travaillons pas davantage que des orchestres français ou allemands, mais le niveau de travail est extrêmement élevé. »
S’agissant des enregistrements, Iván Fischer et l’Orchestre du Festival de Budapest, après avoir gravé leurs disques pour Philips dans les années 80 et 90, ont établi un partenariat avec l’étiquette néerlandaise Channel Classics. Que ce soit dans Beethoven, Mahler ou Rachmaninov, chacune de leurs parutions est marquante. « Nous enregistrons deux disques par année et choisissons les oeuvres dans lesquelles l’orchestre est le meilleur. Channel Classics accepte tous nos choix, qui sont donc purement guidés par des critères artistiques et jamais marketing. »
Ainsi, les disques Mahler qui paraissent ne constitueront jamais une intégrale - « je ne dirigerai jamais la 8e Symphonie », affirme le chef. De manière générale, Iván Fischer considère que, « les intégrales étant forcément inégales, il suffit donc d’enregistrer ce qu’on fait le mieux » !
Quant à la 2e Symphonie de Rachmaninov, au programme du concert montréalais, Iván Fischer n’est pas retourné à son enregistrement : « Cela a forcément évolué, mais à l’intérieur du même concept. Rachmaninov crée de grandes émotions avec des mélodies simples ; il faut donc gérer précautionneusement la liberté et les affects, afin que rien ne devienne sentimental ou vulgaire. La beauté, dans Rachmaninov, c’est le bon goût. »
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Orchestre du Festival de Budapest
À la Maison symphonique de Montréal, mardi 22 janvier. Direction: Iván Fischer. Soliste: Liza Ferschtman (violon). Chostakovitch : Suite pour orchestre de variété. Bernstein: Sérénade. Rachmaninov: Symphonie no 2. Rens. : 514 842-2112.