Passion vinyles (2)

Vouloir, on pourrait. Il y a la matière d’une chronique hebdomadaire, c’est évident comme le radar interne qui signale au collectionneur la boîte de vinyles sous les tables de cochonneries dans une vente de garage. À lire les envois des amoureux immodérés du disque vinyle ici rassemblés - listes complètes et commentées en complément à ledevoir.com -, on constate : l’objet compte. Encore et toujours. Un disque 33 tours se prend dans les mains, la pochette remplit le regard, en sortir la galette noire et luisante est un rituel qui prend fin seulement au moment où l’aiguille arrivée au bout de la face A reprend son garde-à-vous et attend la face B.

 

« De temps en temps, il m’arrive d’acheter un vinyle neuf, dont je n’ai jamais entendu parler, juste parce que la pochette m’attire », écrit Melissa Maya Falkenberg d’espace.mu et du studio Home Sweet Home. « L’intelligence esthétique de Frisco Mabel Joy [de Mickey Newbury] m’a frappée, je me suis dit : “ Tu ne peux pas te tromper. ” […] Dans les années 70, ce brillant auteur-compositeur texan était l’une des têtes les plus inspirées et inspirantes de Nashville, où l’on avait alors envie de casser un peu les conventions du milieu country. Il y a d’ailleurs à peu près de tout sur Frisco MabelJoy : sons de pluie et steel, messes psychédéliques et mystères dignes de Twin Peaks… »

 

Pour Stéphane Messier, multi-instrumentiste au sein d’Union General et beatlefan au dernier degré, « il y a quelque chose dans l’acte d’aller dans une convention de disques ou d’entrer chez un disquaire, une odeur, une nervosité parfois équivalente à une première “ date ” : vais-je trouver le disque que je ne cherchais pas ? » Il trouve. Félix B. Desfossés aussi. Le jeune expert en vinyles de Bande à part découvre chaque disque comme on ouvre un grand dossier. Ainsi cette rareté, vinyle « dépoussiéré en Abitibi au fond d’un bac à 1 $» : Ecology, par Le 25e Régiment. « Superbe album oublié de rock et folk psychédélique aux ambiances éthérées, guitares fuzzées et arrangements beatlesques, Ecology est un de ces 33 tours peu communs et non réédités qui font l’envie des collectionneurs. Le groupe québécois Le 25e Régiment l’a enregistré en 1970 alors que Georges Thurston, futur Boule Noire, était leur chanteur. »

 

On trouve des vinyles, des vinyles nous trouvent : la compilation Mes premières chansons vol. 3 du pionnier country Paul Brunelle a tout naturellement croisé la route d’Éric Goulet (Monsieur Mono, Les Chiens, Les Ringos…). « Un ami me l’a déniché dans une vente de succession, en parfait état. Trois volumes de premières chansons… hmmm : j’ai des croûtes à manger ! » Encore faut-il l’équipement idoine : depuis qu’une nouvelle table tourne chez Michel Rivard, le cher Flybin a déballé des boîtes et redécouvert sa propre collection. Exemple : In Search of Amelia Earhart, par Plainsong. « Une perle ! Un chef-d’oeuvre de country-folk-rock britannique concocté en 1972 par Ian Matthews après son départ de Fairport Convention… Quelques chansons tournent autour du thème de la disparition mystérieuse de l’aviatrice américaine du titre, le reste, des compos de Matthews et des reprises, dont la sublime Louise, de Paul Siebel. Les voix, les guitares, l’atmosphère… Je bénis saint Antoine de Padoue qui m’a fait retrouver ce vinyle ! »

 

Il lui arrive de racheter des disques qu’il a « peut-être déjà », notamment les Dylan en mono édition 180grammes : il n’est pas le seul. L’éditeur Michel Laverdière (ancien d’Atma classique et Disques XXI) en est à son troisième exemplaire d’Unicorn, le mythique troisième album de Tyrannosaurus Rex, paru en 1969. « Les deux premiers en magasin, jusqu’au milieu des années 1980, et le dernier… sur eBay [et pas encore reçu !].» Souvenir de l’émoi initial : « Sur la pochette, une photo de deux jeunes garçons, Marc Bolan et Steve Peregrin Took […] la plus incroyable musique […] un monde de fantaisie et de merveilles qui s’imprime dans mon imagination. »

 

Le vinyle inspire. Pour décrire Whiskey Before Breakfast, disque bluegrass de Norman Blake « trouvé entre deux vinyles de Bert Kaempfert à la kermesse du sous-sol de l’église… », François Gagnon d’Isabeau et Les Chercheurs d’or a les images parlantes : « Extrêmement inspirant, relaxant et matinal, j’aurais eu tendance à l’appeler “ Breakfast Before Coffee ” pour son côté intimiste et hypnotique. Un disque pour se décrotter les yeux. » Marie-Christine Champagne, de la compagnie Larivée Cabot Champagne (et La Tribu), instigatrice des soirées C’est extra !, est pareillement lyrique à propos du Trafalgar des Bee Gees : « Groupe à l’inépuisable talent. Des chansons pop d’une pure splendeur à l’exemple de la ballade How Can You Mend A Broken Heart. Pour découvrir The Bee Gees hors des compilations avec la sempiternelle mais insubmersible Stayin’Alive. »

 

C’est sans fin, vous dis-je. Le relationniste Martin Véronneau écoute encore la compilation des Temptations « dégotée en Belgique, à la brocante annuelle de Malmedy ». Le producteur Didier Morissonneau n’en finit plus de m’envoyer les pochettes de ses albums fétiches, dont un rare 45 tours de Claude Lemesle, parolier de Dassin et de tant d’autres. Même les habituels revendeurs des conventions de disques demeurent, dans l’âme, de purs collectionneurs. Un Sylvain Lafrenière (alias Capitaine Rock) a vécu un « pur bonheur » à explorer les cinq disques de Ghana Special, coffret de musique africaine, et Bruno Tanguay (alias Satan Bélanger !) a été irrésistiblement attiré par Queen of The Limbo sur le mur du disquaire Phonopolis « parce qu’il y avait un autocollant sur la pochette avec la mention “ SUN RA ”». Humer du vinyle rend fou et curieux.

 

Laissons à Hélène Hazera, animatrice de Chanson Boum à France Culture, férue d’Oscar Thiffault et de La Bolduc, le fin mot de ce survol : « Le clou de ma collection, c’est un vinyle de Richard Desjardins, Les derniers humains, avec une lettre écrite à un camarade critique à l’occasion d’un passage à Paris au temps des vaches maigres. Le camarade n’était pas allé au concert, et m’avait filé la galette. Un trésor, et l’occasion de se rappeler que les critiques se trompent souvent. »

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