«La légende des légendes»

Mercredi, les témoignages sont venus de partout : « Il était la légende des légendes », a lancé Shivkumar Sharma, célèbre joueur de santour qui avait joué avec le maître. « Il fut trésor national et ambassadeur mondial de l’héritage culturel de l’Inde. Une ère s’achève. La nation se joint à moi pour rendre hommage à son génie insurpassable, à son art et à son humilité », a pour sa part déclaré le premier ministre indien Manmohan Singh via Twitter.
Né en 1920 dans la ville sacrée de Bénarès sur les bords du Gange, Ravi Shankar venait d’une famille de brahmanes, la plus haute caste de la société hindoue. Il a commencé sa vie artistique à l’âge de dix ans comme danseur au sein de la troupe de son frère Uday. Il m’en avait donné quelques précisions dans une entrevue pour le ICI en 2003. « Le nom d’Uday Shankar était aussi connu que ceux de Gandhi et de Tagore, le Prix Nobel de littérature. Il fut véritablement le premier à faire connaître la danse et la musique indiennes à l’extérieur. Les gens nous découvraient avec grand étonnement. »
Ravi Shankar se rappelait être venu à Québec vers 1933 par un froid de canard. Avec Uday, il a fréquenté plusieurs scènes du monde avant d’opter pour un autre destin, choisissant à l’âge de dix-huit ans de se consacrer à l’apprentissage rigoureux de la musique savante et de suivre le joueur de sarode Allaudin Khan dit Baba, qui deviendra son guru.
Au milieu des années 40, il se fait reconnaître en Inde. Il écrit aussi des musiques de film. Lors de la décennie suivante, il tourne déjà en son nom à l’étranger, compose pour des orchestres et commence à intégrer des instruments d’ailleurs. Il multipliera par la suite les collaborations avec des artistes de l’Ouest et deviendra proche de John Coltrane, qui prénommera son deuxième fils Ravi en son honneur.
Au milieu des années 60, sa rencontre avec George Harrison des Beatles, à qui il enseignera le sitar, lui vaudra l’étiquette de parrain de la world music. Il en était mal à l’aise : « Je n’ai jamais voulu faire de mélange. J’ai seulement voulu trouver de nouvelles textures à la musique classique indienne, avait-il dit en 2003. Je n’ai jamais jammé avec qui que ce soit et si j’ai pu collaborer avec des musiciens occidentaux de renom comme le flûtiste Jean-Pierre Rampal, le violoniste Yehudi Menuhin ou le compositeur Philip Glass, c’est parce qu’ils ont interprété mes compositions ».
Malgré cela, il est du festival de Woodstock en 1969 et du concert pour le Bangladesh, deux ans plus tard. Sa musique est alors associée au psychédélisme et aux herbes illicites sous-jacentes à l’écoute de la musique : « Ma musique n’a rien à voir avec cela. C’est la raison pour laquelle depuis 1975, j’ai réglé le problème en ne me produisant que dans les réseaux de la musique classique », avait-il expliqué lors de l’entrevue citée plus haut. Mais, au-delà du malentendu, la grandeur du personnage, son humilité légendaire et sa vision spirituelle pour un monde meilleur persisteront pendant longtemps encore… sur un air de légende.
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Pandit Ravi Shankar selon Aditya Verma
Joueur de sarode montréalais, Aditya Verma fut l’un des disciples de Ravi Shankar. Il témoigne : « Avant qu’il devienne mon guru, ma connexion avec Pandit Ravi Shankar ressemblait beaucoup à une relation entretenue entre un petit-fils et son grand-père. Puis, j’ai réalisé que son enseignement ne concernait pas que la musique, mais la vie dans plusieurs de ses facettes. Pour lui, la musique n’était pas seulement une question de jouer des notes, mais une intégration à la culture totale, qui est transmise depuis fort longtemps d’une génération à l’autre : la musique était tout. Pour bien le saisir, il est important de comprendre qu’au début de sa carrière, lorsqu’il a commencé comme danseur dans la troupe de son frère, il vivait en Inde, mais il voyageait beaucoup en Europe et en Amérique, en vivant l’excitation d’être membre d’un ensemble célèbre. Puis, il a opéré un changement complet de mode vie pour aller rejoindre son gourou en s’installant littéralement dans un village indien pendant sept ou huit ans. Il vivait alors dans une petite chambre et passait ses journées à apprendre et à pratiquer. Cela explique sa solide fondation artistique. N’importe qui d’autre qui n’aurait pas eu son génie se serait perdu. Il a atteint plusieurs personnes par la musique, la culture et la spiritualité indiennes. Je pense que cela va prendre des générations pour comprendre sa contribution. »
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Collaborateur