Patrick Watson, au bal des lucioles

Après le triple lancement-spectacle de l’album Adventures In Your Own Backyard au Corona en avril, Patrick Watson se produisait hier à Wilfrid, dans la série de prestige du FIJM (à l’heure et au lieu où chantera Liza Minnelli ce soir). Pas dehors en toute gratuité pour les multitudes comme en 2009. À l’intérieur, dans la grande place, à 52,77 $ le client. Qu’en penser ? Promotion ? Consécration ? Était-ce la grande occasion chic pour Patrick Watson, ce groupe qui porte le nom de son chanteur ?
Pas du tout : plutôt le contraire. Quelque chose comme de la bonne franquette somptueuse. Quelque chose comme du grand luxe sans la moindre prétention. C’était comme si Wilfrid avait été transporté dans le grand loft où a été enregistré l’album. Pour que ce soit plus confortable. Une sorte de détournement ludique. C’était Wilfrid-Pelletier au service du plaisir pur de faire de la musique ensemble. Public inclus : on avait distribué 3000 « doigts lumineux », et chacun avait un rayon à pointer. « Why not ? », s’est exclamé Pat sous sa casquette, hilare, content de son coup : ça valait la dépense. Eh ! Un bal de lucioles jusqu’au troisième balcon !
Les jeux d’éclairages les plus savants, des projections extraordinaires, de grands écrans-cerceaux qui rappelaient le chronogyre de l’émission de science-fiction Au coeur du temps, une véritable pluie d’étoiles, ç’aurait pu être en d’autres mains une démonstration de savoir-faire, la marque d’un groupe qui se veut mondialement important. Mais non. Les rires en cascades de Pat dénonçaient toute velléité d’esbroufe : c’était rien que pour jouir des effets. Créer de la beauté, et puis en profiter ensemble, pour ainsi dire en famille.
Le grand carré de sable
Magie, oui, mais facultative. C’était pareil carré de sable pour les arrangements, à la fois poignants et luxuriants, qui mêlaient cuivres à la Morricone, cordes à la George Martin, chorale, pedal steel et mandoline jouées par l’invité Joe Grass, et mille modulations et crescendos à la… Patrick Watson. Pas un instant ces musiciens exceptionnels, Robbie Kuster aux percus, Simon Angell aux guitares, Mischka Stein à la basse, et tous ceux qui les entouraient, ne tiraient à eux la couverture : pas un solo autrement que pour le bien commun, rien qui ne soit entièrement dévolu à la beauté de l’ensemble. Y compris la merveilleuse voix de Patrick, falsetto unique au monde, et pourtant partie intégrante du groupe nommé Patrick Watson.
Les pizzicatos de Black Wind, la petite guitare qui devenait immense dans Step Out For A While, le pedal steel cinématographique dans The Things You Do, le bivouac autour d’un seul micro dans Into Giants, le vibraphone céleste dans Quiet Crowd, les cordes et les cuivres de mariachis dans Light House, tout était cadeau à la vie, ode au miracle d’être là, au grand bal des lucioles. En chemin vers le journal, j’ai pensé à Lhasa, à qui Adventures est dédié, à la pureté de son amour pour la musique. Et j’ai souri.
Bémol : j’ai été nettement moins convaincu par l’artiste de première partie, cet Emil Svanängen qui se fait appeler Loney Bear : l’approche bourdon privilégiée - infimes variations autour d’une seule et même note - est intéressante en soi, et le gars est certainement doté d’une voix hors du commun, mais après 50 minutes de butinage ininterrompu, ce sont mes oreilles qui bourdonnaient. Ramené par Pat le temps d’un duo dans l’air raréfié des harmonies haut-perchées, l’ami Emil s’est révélé capable de bien belles notes. Normal : chez Patrick Watson, on ne s’appartient plus. On joue pour jouer.