École nationale de la chanson - Une boîte à outils pour ouvrir les FrancoFolies

Ou comment le talent brut des Lisa LeBlanc, Damien Robitaille, Salomé Leclerc, Jonathan Savage et autres Alex Nevsky est devenu encore plus efficacement brutal sur les bancs d’école. Visite et témoignages avant le spectacle des finissants de 2012.
« C’est un endroit où l’on ne te forme pas, on t’outille », résume Jonathan Savage, inénarrable troubadour gaspésien, fort en rimes riches et en pointes ironiques. « On ne te forme pas, on te déforme, t’étire, te chavire, pour qu’ensuite tu puisses te trouver toi-même, pour qu’ensuite tu puisses prendre ta propre forme. » Sans se faire prier, par retour de courriel ou de message Facebook, quelques notables anciens de l’École nationale de la chanson ont ainsi évoqué leur année d’apprentissage intensif.
Damien Robitaille, l’homme autonome né nu, renchérit : « L’École m’a permis de trouver mon style d’écriture, de connaître mes forces et mes faiblesses. Elle m’a aussi fait réaliser que j’étais unique et que j’avais un accent différent. » Alex Nevsky, lui, doit à l’École d’avoir compris qu’il s’était « trompé, toutes ces années, en faisant du hip-hop ». Son truc, on le sait maintenant, c’est la pop épatante : « Mon amour de la mélodie était encore plus fort. L’École, c’est un miroir formidable. » Salomé Leclerc y a découvert, elle, sa voix de tête : « Jamais je n’aurais eu le courage de m’attaquer aux premières notes de voix de Partir ensemble avant l’École… » Lisa LeBlanc est arrivée à l’École avec des bouts de chanson et « la chienne de dire ce [qu’elle] voulai[t] dire ». Elle est repartie avec Avoir su, Câlisse-moi là, etc. « On a écrit beaucoup, beaucoup à l’École. C’est là que je me suis dit : come on, lazy fuck, vas-y. J’avais pas le choix. »
L’École dans l’école
Mai 2012. Un grand local avec un piano, une console, quelque part dans une aile du cégep de Granby Haute-Yamaska. L’École nationale de la chanson. L’École dans l’école. Heureusement qu’on m’y a guidé, je n’aurais pas trouvé tout seul : un atelier de travail, zéro ostentation. On n’est pas à Frelighsburg. C’est un lieu « sans aucun adjectif », comme dit Robert Léger, le Robert Léger de Beau Dommage, qui dirige l’École nationale de la chanson depuis sa création en 1998. C’est ce qu’il dit à la douzaine d’inscrits le premier matin, en septembre, dans son cours d’écriture de paroles. « Je ne leur fais pas écrire des chansons en commençant. Je leur dis : “ Trouvez-moi un moment qui vous a beaucoup ému dans votre vie, écrivez-le moi sans aucun adjectif, pas de bullshit, rien. Faites-moi pas des rimes, rien de cute. ” On part de là. C’est quoi, le centre de ton souvenir ? On va apprendre à construire autour de ça. »
Dans le cours de gestion de carrière de Blanche Morin, où l’on m’a invité pour causer médias, préparation d’entrevues et perméabilité aux critiques bonnes ou mauvaises, ça trépigne. Le spectacle de fin d’année s’en vient, et plutôt deux fois qu’une : à l’auditorium du cégep (ce soir), et pour la première fois, visibilité plus qu’accrue, à L’Astral, en ouverture des FrancoFolies de Montréal (demain). Fébrilité dans l’air. Esprit de corps. Bientôt, la cuvée 2012 sera lâchée dans la nature. La jungle ! Ils me semblent affamés, tous ; nommons-les, ils n’auront pas leur portrait dans les hebdos de Quebecor : John Andrew, Vanessa Borduas, Anaïs Constantin, Max DB, Mathieu Desmarteaux, Kora Desrosiers, Sara Dufour, Jean-François Malo, Joanie Michaud, Liliane Pellerin, Alexandrine Pineault, Catherine Pomerleau, Rosie Valland.
« Ils n’attendront pas qu’on les découvre, affirme Blanche, fière de ses ouailles. Un des travaux qu’ils ont eu à faire avec moi, c’est de planifier l’année après l’École. Chacun a un plan de communication, un échéancier. Ils ont écrit leur note biographique, monté le dossier du spectacle de fin d’année. Ils ont appris à établir un budget, à remplir des demandes de bourse. Les médias, les producteurs, les agents, comment ça fonctionne ? On leur a dit. Ils vont pouvoir se débrouiller. » Certains se débrouillent déjà : Vanessa Borduas a brillé au dernier concours Ma première Place des Arts, bombardée meilleure interprète de la « chanson à chanter », l’exercice imposé.
Cent fois sur le métier
Pourquoi passer par l’École ? Alex Nevsky enfonce le clou de l’évidence : « La persévérance paye. Je dois travailler chaque jour pour progresser. » Bête comme chou ? Pas du tout. C’est le sujet préféré de Robert Léger : « Le mythe selon lequel tu vas être frappé par l’inspiration, qu’il ne faut surtout pas se demander comment une chanson arrive parce que ça va briser la magie, est encore très répandu. C’est pour ça que l’École n’a quasiment jamais eu d’aide des gouvernements. Pour eux autres, ça ne s’apprend pas, la chanson. La foresterie, l’informatique, oui. La chanson, t’achètes une guitare et tu joues… Non ! Ça s’apprend et ça s’enseigne. » C’est ce qu’affirmait le regretté Sylvain Lelièvre au temps des ateliers de chanson du cégep de Rosemont, fomentés au milieu des années 1980 avec le même Robert Léger (Yann Perreau, notamment, est passé par là), et c’est ce que le même Robert Léger répète encore « dans tous les bureaux des ministres ».
C’est l’éthique de l’artisan, pas la promesse du vedettariat. L’École n’est surtout pas la Star Académie. Cent fois sur le métier… « À l’École, ajoute Robert, on exige des nouvelles chansons tout le temps. Toutes les deux semaines, une chanson. Ils disent : “ J’ai plus d’idées… ” Et puis, des choses merveilleuses sortent. Arrive Câlisse-moi là. Tu te mets le cerveau en mode recherche, et tu trouves. C’est pas tout le temps bon, mais quand ce sera génial, ce ne sera pas à cause de la foudre ! » Message bien compris. Pourquoi passer par l’École, Salomé ? « Pour se planter des fois et être fière les autres fois. » Écho chez Damien : « À l’École, on m’a appris à aller au bout de mes chansons, à bien les terminer, à bien les polir, à en être fier. »
Le curriculum fait le tour du cow-boy : en plus de l’écriture selon Robert et de la gestion selon Blanche, les Daniel Dupré, Marie-Claire Séguin et cinq autres profs s’occupent d’interprétation, de technique d’instrument et de studio, de connaissance du répertoire, etc. « On n’est pas là pour les changer. On leur donne les moyens d’aller plus loin. Et puis, c’est pas écrit dans les descriptions de cours, ajoute Robert, mais ce qu’on fait de très important, c’est le ménage. Nettoyer l’inutile. Enlever ce qui n’est pas eux autres. Et leur permettre de s’afficher tels quels. C’est gênant, être soi-même. Se montrer sur scène. Ici, ils sont protégés, ils peuvent oser. Et ils sont plusieurs. Ça aide. »
Pourquoi passer par l’École, Jonathan Savage ? « Il y avait bien l’alléchant programme et les gens pour nous l’offrir (Léger, Séguin, le Grand Luc, vous imaginez ?), mais j’avais encore plus envie de rencontrer des gens de ma planète. Côtoyer mes pairs. J’y allais pour l’humain. »