Radio Radio, Havre de grâce - Dans le tapis, sans compromis

Le sympathique trio acadien Radio Radio tourne beaucoup, mais certainement pas en rond. Après Cliché Hot, un premier disque mordant qui nous a fait chanter «y'a d'la place en masse dans mon jacuzzi», et Belmundo Regal, un deuxième effort moins adolescent et plus riche, voici que Jacques Doucet, Gabriel Malenfant et Alexandre Bilodeau lancent Havre de grâce, un bouquet rap éclectique, touffu et sans compromis.
Pendant pratiquement une heure, Radio Radio y tourbillonne, multiplie les effets électroniques et les échantillonnages, tout en laissant une belle place aux instruments organiques. On y entend, oui, de l'accordéon, du saxophone, et pas mal de percussions, surtout pour des gars qui «n'aiment pas les tam-tams». Et aussi de la guimbarde paraît-il, mais pour ça il faut les croire sur parole.«La direction était définitivement plus éclectique que dans le passé», admet Alexandre Bilodeau, l'homme derrière la musique de Radio Radio, et qui a créé sa propre maison de production, Nom de plume. Sur Yellé on est plus proche du rap électronique, avec la voix triturée. Gong Hotel évoque le Crab Bucket de K-os, et Chambralit a quelque chose de comico-mielleux, à la Kenny G. Havre de grâce n'est pas un album bonbon, mais éclôt après plusieurs écoutes.
«C'est vrai que c'est un petit peu déstabilisant, ajoute Gabriel Malenfant. C'est comme quand t'arrives dans un nouveau pays et que tu découvres la musique des gens, y'a un moment comme ça, de non-confort. J'ai parlé à mon cousin l'autre jour et il m'a dit que c'est un disque qui te keep on your toes.»
Figurer out leur langue
Même en ce qui concerne la langue, les trois rappeurs n'ont pas levé le pied. Leur mélange de français et d'anglais, avec les tournures chiacs, est plus ancré que jamais. «I guess qu'on pourrait faire des tunes juste pour figurer out», chante par exemple le groupe sur Conférence / Figurer out. «On a décidé que c'était notre langage, notre marque de commerce, alors on y est allé à l'extrême, on a mis zéro effort pour la compréhension, dit Jacques. Et c'est pas tant une question d'accent que de jeu avec les mots.»
«La compréhension détaillée n'est pas importante, tant qu'il y a une compréhension globale, c'est ça qui compte, explique Alexandre. On ne pourrait pas le faire juste en français, ni en anglais. C'est pas ça dont le monde a besoin.»
La rumeur qui courait depuis quelque temps voulait qu'Alexandre ne fasse que l'album avec Radio Radio, et pas la tournée. Le principal intéressé explique au Devoir qu'il est en fait revenu avec le groupe à temps plein. «J'ai pris une pause, j'étais rendu vidé, j'avais envie de travailler avec d'autres personnes, de faire de la musique tous les jours, ce qui n'était pas évident ici. J'ai pris un break, et c'était déstabilisant, pour moi et pour tout le monde. Mais je reviens dans le projet avec plus de focus, plus de motivation.»
C'est d'ailleurs lui qui a créé l'ambiance pour le volet néo-écossais de l'enregistrement de Havre de grâce, qui s'est aussi fait en Louisiane. «J'ai fait le décor, tiré des draps, pour mettre de l'ambiance, le feu de bois brûlait depuis deux semaines, j'avais fait l'épicerie, le studio était installé. Le feng shui était déjà en place. Je dirais que l'espace dans lequel tu fais la musique compte beaucoup, plus que l'équipement que tu as.»