Le sixième album de Mes Aïeux: À l'aube du printemps - Groupe à développement durable

Les cinq membres de Mes Aïeux. Leur dernier album , À l’aube du printemps se questionne sur l’identité à tous les niveaux. 
Photo: Marie-Hélène Tremblay - Le Devoir Les cinq membres de Mes Aïeux. Leur dernier album , À l’aube du printemps se questionne sur l’identité à tous les niveaux. 

Ils ont décidé qu'il valait mieux continuer ensemble, solidaires envers et contre tout. De cette décision a découlé un disque investi d'une double mission: secouer l'inertie et raviver l'espoir. Rencontre nécessaire.

«C'est pas pour rien que l'album s'appelle À l'aube du printemps: on a eu une traversée de l'hiver», explique Stéphane Archambault. La voix résonne dans le grand hall de la Maison du développement durable, bâtisse encore toute neuve de la Catherine, entre le TNM et la Main. Dehors, la ville patauge dans sa fin d'hiver à elle. Fini Montréal en lumière, au revoir la Nuit blanche et son maquillage de féerie, bonjour le jour sale. «Dans le groupe, après la fin de la tournée de La ligne orange, chacun a vécu des bouts assez rough; on a perdu un membre aussi.» Notez la connotation «deuil dans la famille» de l'énoncé. Précision: Éric Desranleau, le membre en question, poursuit sa vie de musicien au sein des dynamiques Wonder-Trois-Quatre. «À un moment donné, on s'est posé la question: est-ce qu'il reste du jus, est-ce qu'on est encore capables, est-ce qu'on a encore envie?»

Poser une telle question existentielle à trois volets quand on a installé exprès pour la ronde promo du nouvel album une grande table blanche et des chaises blanches dans le hall de la Maison du développement durable, où ça sent encore le bois de construction et la peinture fraîche, c'est y répondre. Visiblement, c'est reparti pour Mes Aïeux. À preuve: l'album est là, arrivé sain et sauf, le groupe aussi; l'aventure continue. Voyez cette pochette magnifiquement illustrée par Marianne Chevalier, avec ces oies sauvages qui reviennent en escadrille serrée. Bon signe. «Il y avait un équilibre à retrouver, continue Archambault. Un trou s'était creusé.»

Décidément, il a les expressions parlantes, le Stéphane. Trou creusé, dit-il? Livret ouvert sous les yeux, je ne peux m'empêcher d'aller à la page de cette très belle et terrible chanson qui arrive au coeur de l'album et qui s'intitule La berceuse: oh que ça creuse, là-dedans. Ça creuse, ça pompe, ça détourne. Ça creuse «le ventre de la terre», ça pompe «à plein gaz, ainsi soit-il», ça détourne «le lit de la rivière / Sans se soucier du trajet millénaire». Ça creuse la question du développement durable, cette chanson.

Pas seulement celle-là. Développement durable d'un point de vue personnel (les gars et la fille de Mes Aïeux arrivent ou sont arrivés à la quarantaine, accusent le coup), développement durable en tant que groupe vétéran (sixième album en seize ans, on mesure le chemin parcouru), développement durable en tant que société, c'est «le fil conducteur de l'album», résume Frédéric Giroux. Marie-Hélène Fortin renchérit: «C'est un questionnement sur l'identité, à tous les niveaux: qu'est-ce qu'on est devenus et, de là, où est-ce qu'on s'en va?» La première chanson de l'album, Viens-t'en, bivouac plus qu'entraînant, donne le ton et la direction: «Envoye, viens-t'en / On sort les instruments / Ça bout par en dedans / Faut faire sortir le méchant...»

Sortir le méchant


Dont acte. De toutes les façons, sur tous les registres, le méchant sort. Par exemple, dans La stakose, ça parle de la propension tellement québécoise à rejeter la faute sur n'importe quoi et n'importe qui, sauf soi-même. Chanson craquante, à la fois drôle et féroce, liste hallucinante de boucs émissaires et de cibles visées: «Stakose des lobbys, stakose de l'Alberta [...] Stakose du climat, stakose du Plan Nord / Stakose de la clique et de Quebecor [...] Stakose de Pauline, stakose de la réforme / Skakose tu fais simple, stakose de la norme [...] Stakose de l'arbitre, stakose de Montréal...» Je me retiens, j'en remplirais la page: il y a quelque chose de profondément bienfaisant dans l'énumération des irritants. «Une fois que t'as le filon, commente Stéphane, tu shootes dans tous les sens. Ça défoule.» Marie-Hélène: «Dans ce procédé, il y a du full léger et du lourd de sens, des lignes pour rire et des lignes pour dénoncer... avec tout le trip de Benoît qui est allé dénicher un vrai clavecin et moi qui me suis transformée en orchestre de chambre.» Groovy-baroque, dit le communiqué. Haché menu sur fond de menuet.

À l'aube du printemps contient une autre chanson mitraillade, assez mémorable également: Passé dépassé. Jouée en crescendo inexorable à la Arcade Fire, y est déclinée sous toutes ses formes la tyrannie de la nouveauté. Impossible de ne pas noter quelques flèches bien décochées: «C'était l'affaire à voir / C'était l'cover du Voir / C'était à la fine pointe / Plus pointu que Lapointe...» La chanson, c'est voulu, distancie Mes Aïeux du peloton des désespérément branchés. Marc-André Paquet: «On n'a jamais voulu être la saveur du mois.» Stéphane nuance: «On veut pas non plus être perçus comme un groupe révolu...» Marie-Hélène: «T'as pas besoin d'être la saveur du mois, mais t'as besoin de sentir que t'es encore pertinent.»

Le meilleur véhicule

On sent autour de la table, autant qu'en écoutant l'album, une forte conviction commune, une résolution raffermie: Mes Aïeux, hiver traversé, est mieux armé que jamais pour défendre ses idées et ses idéaux. On s'imagine qu'un Springsteen, revenant à son E Street Band après l'hiatus des années 1990, a eu cette vision claire: voilà mon meilleur véhicule. «Après s'être demandé si on continuait, faire l'album était vraiment grisant», témoigne Marie-Hélène. «Une fois qu'on a décidé d'y aller, on s'est lancés à fond. On a senti une homogénéité plus grande, un plaisir plus grand encore de faire de la musique ensemble.» Permettez cette lapalissade: on n'avance pas sans bouger. Dans Le fil, écrite par Stéphane et Marie-Hélène, splendide ballade pop acoustique dont le liant est un synthé très Wings époque Band on the Run, tout le drame se vit dans l'inertie: «Dans les dédales de ma caboche / Dort un géant aux pieds d'argile / Ma ceinture fléchée s'effiloche / Ta survie ne tient qu'à un fil / Les mailles qui tissaient mon destin / Se détricotent dans tes mains...»

«Le sens du collectif est en train de s'effriter à une vitesse hallucinante», constate Stéphane. Le chanteur s'emporte: «La déconfiture du Bloc, du PQ, on remplace ça par quoi? On fait chacun notre p'tite affaire, on se remplit les poches au plus vite avant de rentrer dans le mur? C'est l'image d'Hubert Reeves: on est sur le Titanic et tout le monde se cherche la meilleure chambre alors que le bateau est en train de couler. Notre réponse à nous autres, Mes Aïeux, comme groupe, c'est de se tenir. De faire quelque chose collectivement.»

Clarté d'intention, solidité des assises, maturité du propos. Ça donne des musiques à palette large, pop, folk, gospel-funk, l'une d'entre elles quasi métal, qui n'ont plus besoin de l'estampille trad pour ressembler à Mes Aïeux (des clins d'oeil suffisent désormais). Ça donne un album remarquablement équilibré où les chansons qui exposent les absurdités et les iniquités de l'époque (Histoire de peur, Des réponses à tes questions, La stakose) trouvent sur leur chemin de salutaires chansons d'espoir (Les oies sauvages, Je danse avec toi, Au gré du vent). Ça donne quelque chose qui ressemble à de l'encouragement durable.

À voir en vidéo