Les dix meilleurs disques québécois de 2011 - L'embarras du choix

Il devrait y avoir l’Appalaches de Richard Séguin dans cette liste, Tigre et diesel de Galaxie et La romance des couteaux de Chantal Archambault, et les Variations fantômes de Philippe B., et pas mal d’autres disques essentiels encore: l’année québécoise du disque a été à ce point riche (en qualité, faute de faire vivre décemment ses artisans) que mes élus pourraient être délogés à la première demande de recomptage électoral. Ça s’est décidé de peu, et ce qui semble définitif parce qu’imprimé l’est moins qu’il n’y paraît. Sacrée dizaine, cela étant.

1. Catherine Major, Le désert des solitudes (Spectra). Faut-il être folle pour oser chanter ce qu’écrit sa mère, s’approprier les mots de l’auteur-compositeur Moran, son homme, retravailler avec un coréalisateur-arrangeur plus proche qu’un frère et commander un texte à un écrivain maudit? Un peu, oui, et c’est tant mieux. La proximité est un risque fou, la vie aussi, et c’est ainsi qu’on se retrouve avec un troisième disque tellement réussi qu’on en a le tournis. Encore faut-il des compositions assez bien bâties pour que la maison lui appartienne en propre: c’est le cas. Encore plus que pour Rose sang, Catherine est chez elle dans son monde de musique, avec les siens en soutien.

Catherine Major - Le Désert des solitudes



2. Fred Pellerin, C’est un monde (Tempête). Après les 140 000 exemplaires de Silence, les attentes faisaient du bruit. La satisfaction est conséquente: C’est un monde, c’est tout un monde. Avec de grands couplets délicats sur la condition humaine, des chansons d’amour à rendre amoureux, des chansons pour entretenir le désir et des chansons d’appartenance en voulez-vous en v’là (surtout La mère-chanson, véritable manifeste), Fred n’a plus à s’excuser de faire le chanteur entre deux monologues. Les chansons parlent haut et fort, elles aussi.

Fred Pellerin - Il faut que tu saches



3. Isabelle Boulay, Les grands espaces (Chic – Audiogram). Finies les stratégies de mise en marché séparées pour le Québec et la France. De la même façon que le dernier spectacle d’Isabelle Boulay s’intitulait Comme ça me chante, cet album propose côte à côte du Michel Rivard et du Julien Clerc, du Jean-Louis Murat et du Steve Marin, un duo avec le réalisateur Benjamin Biolay et un autre avec Dolly Parton. Tout ça coule de source, à tel point qu’on dirait les chansons écrites par elle, pour elle. L’espace couvert est peut-être grand, mais elle est partout, et plus que jamais, Isabelle Boulay. Country-folk pour tout le monde.

Isabelle Boulay - Les grands espaces



4. Marc Déry, Numéro 4 (Audiogram). Il fit d’abord le champion façon Sting avec Zébulon, puis le smatte dans ses trois premiers albums en solo. Cette quatrième fois, se disant sans doute que le temps était venu s’il n’était déjà passé, il s’est essayé à la pure confection pop d’allégeance Beatles, Byrds et cie, et c’est la réussite. Ouste le second degré, ouste l’originalité à tout prix: s’accepter pur pop lui a donné accès au meilleur de lui-même.

Marc Dery - Mais alors




5. Salomé Leclerc, Salomé Leclerc (Audiogram). Il lui a fallu des premières parties, l’École nationale de la chanson, les concours, les ateliers jusqu’à Astaffort, les festivals jusqu’à Montauban, presque dix ans d’apprentissage pour en arriver à ce premier album... instinctif, qui respire l’immédiateté, chanté cru et dru. Merci à Emily Loizeau pour la moiteur marécageuse des arrangements, tout ça donne l’album qu’on espérait de Salomé (et que Salomé espérait d’elle-même), en mieux. Encore brut, juste assez abouti. Avec de la marge de manœuvre pour la prochaine fois.

Salomé Leclerc - Love, Naïve, Love



6. Richard Desjardins, L’existoire (Foukinic). Çà et là, des redites. Çà et là, des fulgurances. Ces chasseurs dans Elsie qui «partent à’chasse aux idées noires». Ça troue de bord en bord, une image comme celle-là. On en oublierait la chanson si la chanson ne prenait pas tant au cœur. Plusieurs des chansons de L’existoire font ça, prendre au cœur, si inégales soient-elles. Oui, c’est un peu tous les Desjardins en un seul disque. Même les Desjardins qu’on aime moins. Mais du Desjardins inégal, c’est quand même grand comme l’existoire.

Richard Desjardins - Avec l'amour de Jésus



7. Éric Goulet, Volume 1 (Nomade). Notre Keith Richards local signe son premier disque en solo. Estampillé 100 % orthodoxe country, beau comme une chemise de Gram Parsons. Même en solo, Éric est un gars de gang, et l’amicale des fadas de country, de Rick Haworth à Carl Prévost, se lâche glorieusement lousse dans des chansons de Marcel Martel, de Paul Brunelle, d’Éric Goulet itou. Lequel reprend L’âme à la tendresse avec Mara Tremblay, et on pleure. Authentique à tel point qu’on ne sait plus quand c’est du Brunelle ou du Goulet. Mission accomplie.

Éric Goulet - Danse avec moi



8. Ingrid St-Pierre, Ma petite mam’zelle de chemin (La Tribu). Du charme et du chien. L’œil qui pétille. La voix avec une petite fille dedans. Une façon de raconter en rimant, rien qu’à elle. Exemple, Les ex: «J’avais pratiqué devant le miroir, quelques sourires de circonstance / j’ai même opté pour la robe noire, celle qui pique, tu l’aimais je pense...» C’est le premier album discrètement gagnant d’une amoureuse transie qui «collectionne les points de suture, les hématomes»... et les mots de plus de trois syllabes.

Ingrid St-Pierre: Mercure au chrome et p'tits pansements



9. Antoine Gratton, La défense du titre (Sphère). Encore une fois, les mélodies heureuses lui sortent de partout, à en rendre Elton jaloux. L’être grégaire qu’il est s’amuse toujours aussi jouissivement avec les copains-copines, les arrangements concoctés avec le frère de musique Éloi Painchaud n’en finissent plus de ravir, et en plus il nous dit des choses sur lui-même et sa vie mouvementée. Passionnant. Quand serons-nous des milliers à le penser?

Antoine Gratton: Superami



10. Stefie Shock, La mécanique de l’amour (Tacca). Simili Moog, oscilloscope en folie, synthés en vrac, échantillonnages en stock, bref, du iiiiooouuuuu, des bzzzt et tout ça. Mais à la Stefie: vraie batterie, vraie basse tout le temps, tu grooves ou tu meurs. Et ça parle d’amour à la Stefie: crûment, obsessivement. Plus que jamais, ce gars a du goût, du flair, du cool, et peut-être bien du génie.

Stefie Shock - Nénuphar

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