Festival de la chanson de Granby – La palme à l’habile Mathieu Lippé

Mathieu Lippé l’a emporté. Ce n’était pas «overwhelming» comme l’an dernier, où Lisa LeBlanc et son folk-trash et son chiaque franglais d’Acadienne avait rouleaucompressé la place. Encore ce samedi au chic Palace, à la finale du 43e Festival international de la chanson de Granby, force était de constater que sa chanson Aujourd’hui la vie c’est d’la marde fessait dans le dash, big time.

Arrêtons-là le texte bilingue, ça fâcherait le patron du festival Pierre Fortier, qui a dit à son tour de micro samedi que la menace de voir Montréal devenir majoritairement anglo l’enhardissait dans la mission francophile de son événement. Bon speech, Pierre. Eh, je rigole: il a bien raison, faut se démener, sinon on nous mènera.
 
Mais trève d’édito. Revoir Lisa LeBlanc, après les quatre finalistes, faisait un peu pâlir les quatre finalistes. C’est ainsi à Granby: grosses années, moyennes années, petites années. Celle-ci était dans l’honnête moyenne. On a choisi le moins incomplet des quatre: le plus abouti, le plus achevé, pour dire ça positivement.

Des promesses, nous avions des promesses: artistes en devenir pas encore devenus ce qu’ils deviendront peut-être. Lippé, fort habile, poète ici, slameur là, capable d’embarquer une foule de finale de concours dans son maëlstrom de jeux de mots et de néologismes, capable d’émouvoir aussi (sa chanson Mourir a eu un prix, non sans raison), a encore un peu trop de Fred Pellerin et de Grand Corps Malade dans le verbe, en fait tant qu’à la fin on le perd. Bref, une certaine maîtrise, pas encore de mesure. Cherche un peu trop à faire de l’effet: au moins il en fait. 
 
Se chercher un genre

Les trois jeunes femmes également en lice, plus encore que Lippé, se cherchaient un genre et nous étions avec elles dans le labo. Marie-Philippe Bergeron, dont j’ai déjà assez aimé le premier album, était en quête de l’interprète qu’elle n’est décidément pas encore, malgré de grands efforts (au niveau des présentations, notamment, très appliquées): ses chansons joliment tournées (surtout Jalouse, la plus… Lynda Lemay) pourraient avantageusement être chantées par d’autres. Ailleurs, en France, ce serait une carrière, ici la quasi misère, hélas. Dommage, on aurait bien besoin de fournisseurs de chansons.
 
De Mélanie Boulay, disons peu: on cherchait des chansons dans ses chansons, une interprète dans ses interprétations. Le mieux qu’on puisse dire d’elle est qu’elle aime beaucoup son monde: une affectueuse. Ça compte plus qu’il n’y paraît: rappelez-vous de Marie Carmen.

Que dire de Klô Pelgag? Klô Pelgag — Klô comme dans «odeur» en latin et Pelgag «chocolaté» en grec, nous apprenait le programme — est une bibitte autrement intéressante. Sorte de Fanfreluche qui doit aimer beaucoup la chanteuse française Camille et rappelait aux vétérans du jury une certaine Sylvie Laliberté, la Klô cultivait en pot son étrangeté, mais la bouture poussait tout croche. Si on était par moments séduit par l’habillage du quatuor de cordes et des percussions (dans les moments intenses, ça frisait l’intensité Arcade Fire), on était tout le temps rebuté par le personnage foldingue télégraphié. «Allo Tokyo, a-t-elle servi à Granby, c’est la première fois qu’on vient en Asie…» Elle se trouvait brillamment décalée, on trouvait ça facile. Ça rappelait un peu le personnage d’arrogant si maladroitement amené par Pierre Lapointe à sa finale de Granby: on avait passé outre, sa sorte de chanson était trop bonne. Chez Klô, la musique même en pâtissait: on ne voyait plus que les sparages à côté de la plaque. Vrai potentiel, pourtant: elle n’est simplement pas encore au niveau de ses ambitions.
 
On notera l’heureux choix de Normand Brathwaite à l’animation: non seulement le grégaire gaillard avait-il tenu à travailler avec la très efficace Claudine Prévost — animatrice des demi-finales —, mais on s’émerveillait de son aisance dans le contexte assez guindé de l’événement (flopée de prix à remettre, commandites à la pelle). Avec Brathwaite, on est toujours un peu à Belle et bum, et on s’amuse franchement.

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