Musique classique - Cette salle de concert sonne déjà bien!

Deux vues de la nouvelle salle de concert qui sera inaugurée mercredi.
Photo: - Le Devoir Deux vues de la nouvelle salle de concert qui sera inaugurée mercredi.

La nouvelle salle de concert de Montréal dévoilera son acoustique au public et aux observateurs lors de son inauguration, le mercredi 7 septembre. Le Devoir l'a visitée, mardi dernier, en compagnie de l'acousticien en chef Tateo Nakajima. Nous n'avons pas encore entendu la moindre note émaner de la scène, mais pouvons déjà dire, d'une certaine manière, que cette salle sonne bien! Voici pourquoi...

Un océan sépare Tateo Nakajima et Yasuhisa Toyota en ce mardi 30 août. Le premier, acousticien de la compagnie Artec, est à Montréal, en entrevue avec Le Devoir, dans la nouvelle salle montréalaise. Il lui reste une semaine avant de révéler au public les fruits de son travail. Le second, acousticien lui aussi (on lui doit le Walt Disney Hall de Los Angeles), est à Helsinki. Son «jour J» est le lendemain, avec la soirée inaugurale du nouveau Helsinki Music Centre.

Nakajima et Toyota sont concurrents, mais tous deux, en entrevue, mardi, avancent un mot un peu tabou: «psychoacoustics».

Ce qu'on voit et ce qu'on entend

L'acoustique reste une sorte d'alchimie. On sait très bien ce qu'il faut éviter, mais il n'y a pas de modèle scientifique capable de prédire infailliblement le succès. C'est pour cela que nous avions traité ici de «diseurs de bonne aventure» tous ceux qui, il y a six mois, nous prédisaient à Montréal l'une des meilleures acoustiques au monde.

Les salles de concert, c'est comme les vins. Entre un bordeaux générique et un Château Margaux, il y a 90 % de choses en commun. Mais ce sont les 10 % restants qui font du Château Margaux un grand vin... Dans la perception de ces 10 % entrent en jeu un certain nombre de facteurs subjectifs. Voir l'étiquette «Château Margaux» sur la bouteille conditionne déjà un peu à trouver le vin excellent.

L'impact de la vision sur l'audition, élément psychoacoustique aussi majeur que largement ignoré, est devenu le thème à la mode cette semaine en musique classique. Le sujet est dans l'air à la suite de l'apparition sur scène, à Los Angeles début août, de la pianiste Yuja Wang en robe orange (très) courte et (très) moulante.

Les commentateurs, à Los Angeles, ont davantage parlé de la robe que du concerto de Rachmaninov que jouait Mademoiselle Wang. La critique Ann Midgette du Washington Post s'est offusquée de ce débat vestimentaire, allant jusqu'à écrire «l'apparence n'a pourtant aucune incidence sur la manière dont ça sonne». Faux, archifaux...

Jean-Philippe Collard, lors du dernier Concours musical international de Montréal, avait déploré la part grandissante de la théâtralité gestuelle des jeunes pianistes. Il appelait cela «l'effet Lang Lang», si je me souviens bien. Mais cet effet est calculé. D'ailleurs, l'absolue perfection dans la maîtrise du langage corporel de certains chefs n'amène-t-elle pas auditeurs et commentateurs à surévaluer leur aura artistique? Bien sûr que si!

Les effets de l'impact de la vision de la gestique de pianistes et chefs sur leurs auditeurs ont été étudiés scientifiquement par des chercheurs allemands, Clemens Wöllner, Wolfgang Auhagen et Klaus-Ernst Behne, qui ont publié leurs travaux, notamment dans Musicae Scientiae. Empiriquement, le phénomène est très perceptible pour un critique attentif lorsqu'il évalue un DVD symphonique: l'attention de l'ouïe est détournée par la vue. Un ballet bien réglé du chef sur le podium entraîne aisément un excès d'indulgence musicale.

Donc, notre nouvelle salle sonne bien, parce qu'elle est belle!

La magie du bois

L'assertion est moins ridicule qu'il n'y paraît. À Helsinki, Yasuhisa Toyota a publiquement reconnu cette semaine que le facteur visuel jouait un rôle d'importance dans la perception de la qualité acoustique d'une salle.

En visitant la nouvelle salle de Montréal, nous avons été immédiatement séduits par la beauté, les rondeurs, la chaleur confiante et la clarté qui se dégagent naturellement de cet environnement tapissé de hêtre.

La salle montréalaise est accueillante, invitante, ce qui contribue à amener de manière récurrente dans la conversation le mot «confortable». «On s'y sent bien. C'est important, car la perception de l'acoustique est liée aux autres sens. L'impact visuel ne peut être ignoré», avoue Tateo Nakajima. La «chaleur sonore» perçue sera donc forcément

affectée et rehaussée par la vision du bois et la clarté acoustique par celle qui règne dans l'enceinte judicieusement éclairée et où la couleur du revêtement des sièges vient se fondre.

Quel est l'impact acoustique réel du bois? Une salle en béton peut-elle sonner aussi bien? «Oui», répond Tateo Nakajima, qui ajoute: «Acoustiquement, le bois ne change pas grand-chose. C'est de la psychoacoustique». Le mot est lâché.

À qui, la salle?

Aux yeux de Tateo Nakajima, le défi d'un concepteur de salles est de «parvenir à créer un lieu adapté à la personnalité de la communauté». Au passage, cette affirmation d'une grande sagesse rappelle que cette nouvelle salle de concert, gérée par la Place des arts, est celle de la communauté; celle des Québécois et des Montréalais. D'où quelle vienne, toute tentative d'appropriation, dans les actes ou les mots, tiendrait de l'outrecuidance. L'Orchestre symphonique, comme le dit sa publicité, en est l'ensemble en résidence, c'est-à-dire celui qui a priorité sur son utilisation. À ce titre, 240 jours (c'est beaucoup!) lui sont réservés dans l'année. Les autres organismes, ensembles, promoteurs ou sociétés seront, pour le reste du temps disponible, les humbles utilisateurs privilégiés de «notre salle», ni plus, ni moins.

Comme tout nouvel auditorium, notre salle nécessitera un temps d'adaptation. Mercredi, nous entendrons sa personnalité, ses qualités et les paramètres à fignoler. Mais il faudra du temps pour l'apprivoiser, la découvrir, la domestiquer.

Tateo Nakajima se rappelle avec amusement l'anecdote relatée par son maître, Russell Johnson, fondateur d'Artec. Après une saison dans son nouvel auditorium de Birmingham — celui qui contribua tant à la notoriété d'Artec — le chef Simon Rattle déclarait: «Maintenant je comprends enfin la salle». Après deux ans, il avouait «Maintenant je comprends enfin la salle» et il en fit de même après la troisième saison!

À Montréal l'acoustique pourra être réglée par un déplacement en hauteur de panneaux sous le plafond et en tirant des rideaux sur les côtés. Mais un troisième paramètre, qui n'a jamais été évoqué jusqu'ici, demandera de longues expérimentations: le positionnement de l'orchestre sur scène, en termes de disposition mais aussi d'étagement.

Plutôt que de placer l'orchestre à plat sur scène, Kent Nagano — conseillé par Tateo Nakajima — a déjà fait concevoir un jeu de praticables qui permettront de disposer les musiciens sur quatre niveaux différents. Cela aura un impact déterminant sur ce qu'on appelle le «son direct», celui qui atteint directement le spectateur — par opposition aux sons réfléchis.

Les outils de l'auditeur intelligent

Outre son caractère chaleureux et confortable, notre salle frappe par son niveau de silence. Les concepteurs ont visé le «zéro bruit» et le système de ventilation, sous les sièges est imperceptible, ce qui nous changera d'emblée du raffut de la climatisation de Wilfrid-Pelletier.

Il est évident que la nature de l'auditorium est si différente par rapport à la salle Wilfrid-Pelletier que nos repères vont être complètement chamboulés. Que devront écouter les premiers auditeurs pour juger du succès de la nouvelle salle et sur quels critères sera-t-elle évaluée?

Les spécialistes, depuis Leo Beranek, ont cherché à corréler sensations subjectives et mesures physiques et s'entendent sur les paramètres suivants:

- la présence sonore, qui résulte du délai (en millièmes de seconde) avec lequel le son direct et le premier son réfléchi atteignent l'auditeur;

- l'enveloppement ou la sécheresse, fonctions du temps de réverbération;

- la chaleur, dépendant du rendu des fréquences graves;

- l'impact, lié au volume de la salle et aux matériaux réfléchissants;

- la clarté, très corrélée à la présence sonore et aux sons réfléchis;

- la brillance, qui témoigne de la réflexion ou de l'absorption des hautes fréquences.

Verdict, dans ces colonnes, jeudi matin, jour où débutera une grande opération portes ouvertes d'une durée de trois jours et qui impliquera des musiciens de toutes les régions du Québec.

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