Vitrine du disque - 2 septembre 2011

Musique mandingue
Mali Denhou
Boubacar Traoré
Lusafrica / Harmonia Mundi
Parce qu'il fut footballeur, on le surnomme «le dribleur», mais il est aussi considéré comme le père du «blues» malien. Avec pudeur, il joue de la guitare sans se préoccuper des convenances et ses airs paraissent parfois croches. Mais il n'en est rien. Interprète à la voix de ténor rugueux qui chante pourtant intime, il plonge à la fois dans le blues et le folk africains. Les intros bluesées sont souvent ponctuées de quelques notes étirées et rapidement suivies de mélodies qui coulent doucement. Plusieurs pièces sont accompagnées par Vincent Bucher qui dialogue à l'harmonica, traînasse subtilement derrière, se plonge dans les inflexions du blues américain, accentue la rythmique ou se livre à de doux unissons avec Kar Kar. À d'autres moments, la calebasse délicatement claquée permet d'augmenter la cadence. La polyrythmie se trouve aussi au bout des cordes et du balafon. À l'image du musicien agriculteur, il s'en dégage une grande sérénité.
Boubacar Traoré: Mali Denhou
Yves Bernard
Pourquoi tu pleures?
Benjamin Biolay
Naïve
En attendant la suite de La Superbe, superbe album de Benjamin Biolay, voici une superbe suite au film Pourquoi tu pleures? de Katia Lewkowics. Suite absolument facultative: Biolay ne chante pas ces chansons-là dans le film dont il joue le rôle principal, il s'est simplement amusé à prolonger la vie du personnage à travers des chansons complémentaires. Exemple: que dirait de la vie et de l'amour cet Arnaud, dit Cui-Cui, devenu vieux? Il dirait ceci dans C'est l'avantage: «Mille mésaventures / Tant et tant d'inepties / De trous dans la voiture / Et trop d'alcool maudit...» Et il chanterait du Cole Porter (C'est magnifique), retrouverait la vérité vraie des choses dans une jolie mélodie d'Enrico Macias (Reste-moi fidèle). Pièces instrumentales, duos avec ses covedettes Emmanuelle Devos et Sarah Adler, tout est ici permis parce que terrain de jeu. Mais ainsi sorti de lui-même, Biolay n'a jamais été autant Biolay, et c'est de l'exercice toute la beauté.
Benjamin Biolay: Reste-moi fidèle
Sylvain Cormier
Acoustique
Les Vulgaires Machins
Les Vulgaires Machins
Indica
Opportunisme? Paresse? Surtout un beau cadeau. Le groupe punk-rock Les Vulgaires Machins lance mardi un disque acoustique, composé de huit pièces tirées de leur répertoire ainsi que de trois nouveaux titres. Circonspect au début, il faut avouer qu'on a vite été charmé par ce chapelet débranché, qui se veut davantage un bouquet des pièces les plus adaptables qu'un best of. Leurs versions sont plutôt folk et bien léchées — comme leur rock depuis Compter les corps. Si certains morceaux comme Triple meurtre et suicide raté étaient déjà tout indiqués, d'autres comme Prêt à tomber ont demandé du travail. Parmi les titres originaux, c'est assurément la pièce bilan Et même si qui remporte la palme, avec ses touches mélancoliques autant que comiques. La version numérique de cet album sera disponible au prix que vous jugerez le bon sur le site Web du groupe, au www.vulgairesmachins.org. Ne manquez pas notre entrevue demain dans le cahier Culture.
Vulgaires machins: Et même si
Philippe Papineau
Classique
Bruckner
Symphonie no 7. Orchestre d'État de Bavière, Kent Nagano. Sony 88697909452.
Tout chaud sorti des presses, voici le nouveau CD de Kent Nagano. Le chef s'est attelé jusqu'ici à défendre les rares versions originales des Symphonies nos 3 et 4. La question ne se pose pas pour la 7e Symphonie, dont la version princeps de 1883 est perdue. L'image de cette symphonie est pervertie par nombre d'interprétations aux tempos ralentis, voire avachis, au nom d'un mysticisme de façade. Contrairement à son interprétation marmoréenne et verticale de la 9e Symphonie en concert à Montréal, Kent Nagano trouve le souffle et la pulsation de la Septième. Il y a moyen de faire encore plus mordant, mais sur les deux seuls premiers mouvements, il gagne cinq minutes par rapport à Yannick Nézet-Séguin (ATMA)! Bien plus: ce disque très convaincant, magnifiquement enregistré en public dans une cathédrale, fourmille de détails intéressants et d'étagements dynamiques subtils et saisissants. Chapeau!
Bruckner, Symphony No7, 2e mvt, par Nagano
Christophe Huss
Chant polyphonique
Requiem pour deux regards
A Filetta
Adami
Après plus de 30 ans à célébrer l'âme corse à travers ses polyphonies, A Filetta, figure emblématique de son île, se plonge dans le requiem, ce chant pour les morts de la liturgie catholique. N'est-ce pas une façon de célébrer la vie, se demandent les membres de la formation? Que oui! Dès le début de cette oeuvre commandée par le Festival de Saint-Denis, on entend le souffle profond du bourdon humain qui accompagne la voix du soliste qui s'élève vers des sphères célestes. Quelque chose de solennel nous enveloppe. Les voix se répondent, s'harmonisent, se lancent à l'unisson en hétérophonie, deviennent intimes ou rythmiques, changent de tonalité, jouent les contrastes. Quelques pièces sont ponctuées par le bandonéon de Daniele Di Bonaventure qui rappelle parfois l'orgue d'église. La narration de Jean-Claude Acquaviva en alimente quelques autres. Dans l'ensemble, le disque nous fait pénétrer dans un climat de recueillement apaisant.
A Filetta: Requiem
Y. B.
Chanson
La maison bleue
Artistes divers
Barclay - Universal
Toute une génération de Français l'a habitée: c'était «la maison bleue» du rêve hippie, une maison-commune de San Francisco où «ceux qui vivent là ont jeté la clé». Maxime Le Forestier la chantait sur son premier album, on croyait qu'il l'avait fantasmée, mais non: une équipe de télé l'a retrouvée. Verte, la maison bleue. Bien sûr, pour l'anniversaire du disque — paru en 1971, ère du Verseau —, on l'a repeinte de la bonne couleur. Bien sûr, pour l'anniversaire itou, il y a l'album revisité dans la séquence d'origine, onze titres pour onze artistes qui n'ont en commun que l'album: à l'éternel Adamo revient L'Éducation sentimentale, Daphné va à la rencontre de Marie, Pierre et Charlemagne, Juliette partage l'antimilitariste Parachutiste avec un humoriste (François Morel, étonnant de justesse), Daby Touré chante deux fois San Francisco (une fois en soninké), etc. Pas de ratage, pas grande réinvention non plus: tout juste une pointe de nostalgie... fleur bleue.
Juliette et François Morel: Parachutiste
S. C.
Classique
Martinu
Les Six Symphonies. Orchestre symphonique de la BBC, Jiri Belohlavek. Onyx 3 CD 4061 (SRI).
En devisant, la semaine dernière, sur les ratages des disques Richard Strauss de jeunes vedettes de la direction d'orchestre, nous vilipendions ces parutions inutiles dans des répertoires très bien servis et fort encombrés. Que faut-il éditer alors? Sur notre site Internet, un lecteur suggérait «l'enregistrement d'oeuvres récentes et nouvelles». Reste à savoir lesquelles, à quel prix (parlez donc aux éditeurs de disques des prix prohibitifs de la location des partitions et essayez de faire entendre raison aux maisons qui les publient...), et, surtout, comment accéder au répertoire actuel en étant si peu familier du répertoire du XXe siècle. Les six Symphonies de Martinu sont un passage obligé de cette connaissance et Belohlavek fait bien d'y revenir. Son intégrale approche de très près la référence signée Neumann (Supraphon). Voilà une nouveauté fort utile et bienvenue!
Martinu, Symphonie No6, 2e mvt
C. H.
Classique
Waltershausen
Oberst Chabert. Orchestre de la Deutsche Oper de Berlin, Jacques Lacombe. CPO 2 CD 777 619-2 (Naxos).
Voici un opéra librement adapté du Colonel Chabert de Balzac, composé en 1912 par Hermann Wolfgang von Walterhausen (1882-1954), enregistré par le chef québécois Jacques Lacombe à la tête de l'orchestre berlinois de Daniel Barenboïm! S'il s'était agi de certains autres artistes d'ici, on en aurait fait tout un foin! Chabert, composé à 30 ans, eut un beau succès initial, mais un envol brisé par la Grande Guerre. Par la suite, Waltershausen fut saqué par les nazis, puis abandonna la composition. Le style est très straussien, mais on pense aussi au traditionalisme de Pfitzner (1869-1949). Cet habile ouvrage de second rayon méritait cependant, comme le suggère la notice, «de survivre comme unique oeuvre phare du compositeur, à l'instar de Tiefland d'Eugen d'Albert ou Die Tote Stadt de Korngold». L'excellente distribution est menée par un Bo Skovhus en belle forme.
Walterhausen, Colonel Chabert
C. H.