7e Red Hot & Blue Rockabilly Weekend - En vedette, Sonny Burgess, le fou furieux de chez Sun

C'était il y a 55 ans. Un après-midi tranquille de mai 1956: rien à signaler à Memphis, à moins de s'arrêter devant le 706 Union Avenue, rapport au ramdam qui devait bien s'entendre de l'extérieur. Que diable se passait-il donc là-dedans? Qui hurlait donc ainsi? Quel énergumène Sam Phillips avait-il sorti ce coup-ci de sa poche revolver? Assurément, un cousin fou furieux d'Elvis avec toute une bande de hillbillys imbibés de moonshine... «On carburait à l'adrénaline et rien d'autre», affirme Sonny Burgess en rigolant au bout du fil, de chez lui en Arkansas. Une force de la nature, Sonny, encore et toujours actif et rockabilly de corps et d'esprit à 80 ans. Avec ses increvables Pacers (dont le batteur Bobby Crafford, et Kern Kennedy au piano), il est le pionnier d'honneur du Red Hot & Blue Rockabilly Weekend, 7e du nom: le Lion d'Or l'accueillera demain au troisième des quatre jours du festival le plus frénétique en ville (www.rockabillyjam.com).
Vrai, monsieur Sonny? À jeun, cette musique déchaînée? Il s'esclaffe. «Je vous le jure. Le rythme suffisait à nous soûler...» Sonny Burgess, ça l'amuse que We Wanna Boogie et Red Headed Woman, les morceaux de métal en fusion gravés cet après-midi-là, impressionnent encore au point de se demander comment c'était Dieu possible de se lâcher aussi lousse à froid. «Sam nous a dit d'y aller sans retenue, et c'est ce qu'on a fait. We were pretty wild I guess. Quand on a tenté le coup chez Sun, on avait de l'expérience, une sacrée réputation dans la région.»Ça tenait sûrement à ça, la formidable force de frappe: Burgess et ses Pacers ont débarqué au studio de Sun Records comme ils prenaient d'assaut les clubs des alentours. Pas de quartier: boogie dans le tapis, et hop! L'hallali. «On a joué comme on jouait tout le temps. Vite et fort. Les Pacers, c'était toujours le big beat, on malmenait nos instruments, on se grimpait les uns sur les autres en pyramide, et on se lançait tous en même temps en bas de la scène. Une fois, à Little Rock, on était à la même affiche que les Maddox Brothers & Rose, Marty Robbins et Ray Price, on s'est jetés sans le savoir en pleine fosse d'orchestre. Le public se demandait où on avait disparu! On était jeunes et souples, bâtis comme des footballeurs: aucun de nous n'a été blessé...»
Au Silver Moon Club de Newport, le bled natal de Burgess en Arkansas, les Pacers étaient les rois. «C'était LE club: plein, ça tenait mille personnes. Ils ont tous joué là: les gros orchestres, Dorsey, Glenn Miller, les gros noms, Bob Wills & His Texas Playboys, Ernest Tubb, Louis Armstrong, Fats Domino. Elvis à ses débuts y venait avec ses Blue Moon Boys, Scotty Moore et Bill Black. Une fois, on l'a accompagné tous ensemble, on n'avait peur de rien. Si j'avais su ce qu'il deviendrait, j'aurais mis de côté des piles de ses premiers disques: ça m'aurait payé une retraite dorée!»
Le succès, en vérité, passa son chemin et laissa en plan Sonny et ses Pacers. La frénétique We Wanna Boogie apeura-t-elle les programmateurs des radios? «Je crois que Sam Phillips avait du génie dans son studio, mais qu'il n'avait pas les moyens de promouvoir ses artistes au-delà du Mid-South. C'est pour ça qu'Elvis s'est retrouvé chez RCA.» Le parcours des Pacers est miné d'occasions ratées. Leur version plus que vitaminée de My Bucket's Got a Hole in It aurait dû paver d'or le chemin vers le sommet, seulement voilà, l'idole des jeunes Ricky Nelson sortit une version copiée-collée et obtint le tube. «On était agressifs sur scène, pas assez dans la business...»
Burgess et les Pacers vivotèrent dans les années 1960, se dispersèrent, Sonny se trouva un job de jour en 1971. Mais le rockabilly a la vie dure et la jeunesse éternelle, et les dernières décennies ont été bonnes pour les pionniers survivants. Les festivals de rockabilly ne manquent pas, les fans célèbres non plus: Sonny est devenu «très ami» avec Dave Alvin des Blasters et Garry Tallent, le bassiste du E Street Band de Bruce Springsteen. «Ils m'ont permis d'enregistrer à nouveau et de reformer les Pacers.» Allez écouter Tiger Rose sur YouTube, fumant rock écrit par Springsteen exprès pour Sonny au milieu des années 1990. «Le plaisir de jouer et chanter est plus grand que jamais. Tant que la charpente tient bon, je continue. Il se peut qu'on se reparle pour mes 90 ans...»