Yemen Blues aux FrancoFolies - Une découverte majeure

Révélé l'an dernier en Europe, Yemen Blues incarne la plainte profonde qui se perd dans la nuit des temps, bien au-delà de toute frontière officielle ou de cette forme musicale qu'on appelle maintenant le blues. Mais dans ses nombreuses déclinaisons, le blues se retrouve néanmoins partout dans cette musique qui tire ses origines dans les chants yéménites et qui se recrée avec mordant à travers l'âme du Sahara et du Mandingue.
Le groupe se produit dimanche sur la scène multiculturelle des FrancoFolies de Montréal. La découverte laissera des traces.Il y a aussi ce fort personnage, Ravid Kahalani, un chanteur charismatique qui joue du guimbri à ses heures. Il se raconte: «Je suis né et j'ai vécu en Israël, mais mon père vient du Yémen. Arrivé en Israël, il a arrêté de parler arabe, mais il nous a fidèlement transmis les chants des juifs yéménites interprétés en arabe. Cela représente une sorte de conflit pour moi. Je n'ai jamais parlé l'arabe, mais je l'ai toujours chanté depuis mon enfance.»
Avec ses échelles propres, ses hautes tonalités et son swing très soul, ce chant yéménite est unique. Si Ravid Kahalani s'en inspire fortement, son art s'est naturellement transformé au fur et à mesure de découvertes. «Quelque chose de naturel est arrivé à mon chant. À la suite de coups de coeur que j'ai éprouvés pour les artistes de l'Afrique du Nord et de l'Afrique de l'Ouest, je me suis mis à chanter comme eux. Mais cela m'a ramené vers mes racines et je me suis trouvé à chanter quelque chose comme une sorte de blues arabe africain. Je vois du blues dans chaque culture. Ça vient du même endroit, ça va au même endroit et ça m'a amené à un endroit où je peux chanter ma propre culture au sein de ça.»
Mais Yemen Blues crée aussi du neuf sur le plan musical.
Habilement orchestré par le bassiste oudiste Omer Avital, le groupe insuffle à ce blues pénétrant des harmonies de jazz avec trompette, trombone et flûte, de même que des effluves plus classiques avec violoncelle et alto, ou de la multipercussion moyen-orientale et latine. Une lourde claque dramatise une voix très aiguë. Les instruments interviennent en alternance ou ensemble par petits mouvements pendant les accélérations et décélérations, qui sont explorées par phase. L'effet de transe est parfois manifeste avec le gnawa en rappel. Et si le répertoire est surtout interprété en arabe yéménite, il est ponctué d'hébreu, de marocain et même de créole.
C'est à la fois profond, incantatoire, intemporellement contemporain. Et le message de Ravid Kahalani est transcendant: «Qu'importe d'où tu viens, ta langue est la mienne. Qu'importe quel Dieu tu pries, la musique est ma religion.» Et son art de vivre!
Yemen Blues
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Collaborateur du Devoir