Vitrine du disque - 21 janvier 2011

DVD
WHO IS HARRY NILSSON
(And Why Is Everybody Talkin' About Him)?
Lorber Films
Harry qui? Nilsson, avec deux s. Le gars qui chante Everybody's Talkin' dans le film Midnight Cowboy. Le type à l'extraordinaire voix — imaginez Rufus Wainwright magnifié cent fois — qui interprète la grandissime ballade Without You, 45-tours de 1971, extrait de l'album Nilsson Schmilsson, pur chef-d'œuvre. Nilsson? Un génie sacrifié à l'autel du vedettariat. Un Brian Wilson en plus destroy. Ce documentaire narre intelligemment et tendrement l'histoire de Harry, aussi triste que la musique est belle, et si les témoignages de tous ses fameux copains — de Randy Newman à Robin Williams en passant par feu Lennon — disent tout de leur affection et de leur admiration, évoquant les bons moments autant que les années de déchéance, c'est le bouquet de performances filmées, à la télé, en studio, qui justifie l'achat. Le voir chanter, lui qui ne s'est jamais produit devant public tellement ça le terrifiait, émerveille autant qu'émeut.
Sylvain Cormier
Harry Nilsson: One (Is The Loneliest Number)
ÉVOLUTION
Capitaine Nô
Cap Productions
Sacré Cap. Pas tuable. Intraitable. Farouchement souverain dans son bungalow-bunker-bateau amiral de La Prairie, il mène carrière à sa guise et à temps partiel. Capitaine Nô — Pierre Leith au civil — a mis dix ans à fabriquer dans son sous-sol cet album, le cinquième (de matériel original) en quatre décennies de musique: un disque fourre-tout, erratique et pourtant passionnant, parfois émouvant, souvent drôle, voire pertinent quand ça lui prend. C'est du Cap pur flot, écrit à sa drôle de manière (au-dessus de ses moyens, sans gêne aucune), poursuivant sa sorte de chronique caustique, satirique et pourtant bien empathique de la condition humaine. Musicien d'abord, le gaillard adapte les diverses formes d'americana à ses besoins, tout aussi capable de transposer le «cowboy storytelling» (La Ballade de Jos Blow) que de mener un blues-rock à bon port (Aller où?). Si j'aime ça? Sais pas. Je sais que j'aime les personnalités singulières et qu'il n'y a qu'un Cap.
S. C.
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Musique Garifuna
LARU BEYA
Aurelio
Next Ambiance
Fils spirituel du regretté Andy Palacio, Aurelio Martinez fut l'un des premiers artistes à porter la culture garifuna dans le Nord. Il revient avec une création plus urbaine que celle de la dernière mouture de son mentor. S'il s'inspire d'une panoplie de rythmes traditionnels moins connus, il tisse un répertoire singulier, intégrant les voix du village de son Honduras natal, puisant dans les airs familiaux, mais variant allègrement les timbres sonores. Parfois, on croit reconnaître la puissante frappe wolof. Youssou N'Dour s'y campe discrètement. D'autres passages avec de la guitare rétro sont délicieusement chaloupés. Des cuivres minimalistes apparaissent, on rappelle le dub avec la basse profonde, on lance un folk à l'africaine avec une guitare à résonateur. Dans les montages rapides, les voix peuvent être décalées, tout comme les instruments. Mais l'homogénéité de l'ensemble fait apparaître un artiste mature dont on entendra encore parler bientôt.
Yves Bernard
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Classique
CHOSTAKOVITCH
Symphonie no 10. Orchestre philharmonique royal de Liverpool, Vasily Petrenko. Naxos 8.572 461.
Vasily Petrenko est avec Vladimir Jurowski et Andris
Nelsons l'un des chefs les plus intéressants de la jeune génération. Il a fait forte impression à Boston la saison dernière en remplaçant James Levine dans cette 10e Symphonie de Chostakovitch. À écouter ce nouveau volet de l'intégrale qu'il est en train de graver pour Naxos avec son orchestre, on comprend pourquoi. Après un plus que remarquable CD Rachmaninov (Danses symphoniques, Île des morts) chez Avie, Vasily Petrenko (à ne pas confondre avec le bien moins reluisant Kirill Petrenko) marque de son empreinte la discographie récente de cette 10e Symphonie. Il n'atteint certes pas l'ivresse des grands Russes (Rojdestvenski en tête) dans les ultimes minutes, mais ce qui précède est éblouissant de puissance et de noire concentration. Et c'est assurément le plus grand Chostakovitch jamais gravé par un orchestre anglais.
Christophe Huss
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Classique
SCARLATTI
Vingt sonates pour piano. Alice Ader. Fuga Libera FUG 574 (SRI).
Nous suivons avec grand intérêt le parcours discographique d'Alice Ader depuis son interprétation de référence des Études de Debussy chez Erato il y a une quinzaine d'années. Elle a trouvé aujourd'hui un accueillant havre discographique avec l'étiquette belge Fuga Libera. On se souvient notamment de déterminants disques Franck et Moussorgski. Son approche de la musique de Domenico Scarlatti n'est pas la plus immédiatement séductrice, mais tout au long du programme son intransigeance musicale porte fruit. Le programme en question a une teneur non négligeable de sonates hispanisantes, ce qui explique sans doute la présence massive de jambons Serrano sur la couverture. Alice Ader elle-même confesse dans sa notice de présentation que «clarté, précision du détail, énergie et lumière du son en tant que tel et pour lui-même» sont ses quêtes au quotidien. Scarlatti est un terrain d'application très pertinent de ces vertus.
C. H.
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Monde
TIGANEASCA
Les Yeux noirs
Zig-Zag Territoires
Voilà un groupe qui ne cesse d'évoluer. Après tant de clichés dans les années 1990, le groupe des frères Slabiak a intégré à sa musique tzigane et à ses chants yiddish une attitude rock pour le moins bénéfique. Puis une double compilation parue en 2009 a retenu l'attention par sa dualité. Face: de la gouaille; pile: de la finesse. Pour la présente mouture, ils ont ajouré deux accordéons, un pour la fête au village, un autre pour les improvisations plus jazz, en plus de s'adjoindre la participation de quelques excellents musiciens, dont le guitariste Tomas Gubitsch de la famille de Piazzolla et le clarinettiste Yuri Schraibman, qui survole la musique avec une légèreté contagieuse. Avec tous ces atouts, le groupe français vient peut-être de réaliser son disque le plus équilibré, maintenant le caractère urbain, allant même jusqu'à ajouter la distorsion, la syncope et le remix électro, mais préservant la plainte dans l'âme et le rythme mordant.
Y. B.