Vitrine du disque - 7 janvier 2011

Loretta Lynn and Friends
Photo: Loretta Lynn and Friends

Country
COAL MINER'S DAUGHTER
A TRIBUTE TO LORETTA LYNN
Loretta Lynn and Friends
Sony Music

À 79 ans, Loretta Lynn est encore parmi nous, thank the Lord! Pas plus retraitée que trépassée, la grande dame du country reprend ici, avec Sheryl Crow et Miranda Lambert, l'emblématique Coal Miner's Daughter, en point d'orgue d'un album-hommage qui ne sent pas trop l'album-hommage-pendant-qu'il-est-encore-temps. Certes, l'artistocratie nashvillienne a-t-elle la génuflexion facile, une Faith Hill embrassant trop cérémonieusement le sol où Loretta chanta Love Is the Foundation, un Alan Jackson avec Martina McBride reproduisant trop à l'identique le duo Lynn-Conway Twitty de 1973, mais la manière plus rude des bannis (Alison Moorer et son compagnon Steve Earle, l'intraitable Lucinda Williams) et le sans-gêne des étrangers (surtout les White Stripes, qui ont enregistré leur version très déshabillée de Rated X dans une chambre d'hôtel à Detroit) confèrent à l'ensemble ce qu'il faut de saveurs relevées et d'odeurs fortes.

Sylvain Cormier

Lucinda Williams: Somebody Somewhere (Don't Know What He's Missin' Tonight)


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Racines
GARTH HUDSON PRESENTS A CANADIAN CELEBRATION OF THE BAND
Curve - Sony Music

Gossé dans le bois d'arbre de Woodstock, The Band est l'orchestre qui a ramené le rock sur terre en 1968. Notamment parce que l'orgue de Garth Hudson était le plus organique d'Amérique. C'est tout naturellement lui, le bon barbu de Windsor, Ontario, qui a mené à bien ce projet aussi singulier que réussi: une célébration de son propre patrimoine. C'est lui qui a recruté les participants, connus et moins connus mais tous Canucks, et assigné à chacun la chanson du Band qu'il jugeait idoine, contournant exprès les incontournables (The Weight) au profit des négligées (King Harvest). Aux Cowboys Junkies, il a confié la Clothes Line Saga de Dylan, à Neil Young il a accolé les méchants Sadies pour redonner à This Wheel's on Fire sa hargne d'origine, etc. Et partout, l'orgue de Garth sert de liant dans la sauce. C'est quasiment tout bon (aux Trews près), ce qui n'est pas rien. Presque une preuve d'existence pancanadienne.

S. C.

Garth Hudson Presents A Canadian Celebration Of The Band - Neil Young et The Sadies: This Wheel's On Fire



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Jazz
Double Portrait
Bill Charlap et Renee Rosnes
Blue Note

Étirons un peu 2010 pour corriger un oubli de la dernière saison: l'album de duo-piano du couple Charlap-Rosnes, qui mérite bien cette attention tardive. Puisqu'ils sont mariés depuis trois ans (ça s'est passé au Jazz at Lincoln Center, on ne se refait pas), Charlap et Rosnes ont eu depuis tout le temps voulu pour pratiquer ensemble sur les deux Steinway installés dans leur appartement... Et ça s'entend. Le naturel des échanges, l'harmonie. Joli dialogue qu'ils proposent donc sur cet album où on s'exprime sur 176 touches d'ivoire. Les ambiances sont multiples, modulées au gré d'un répertoire qui passe du rythme enlevé de Chorinho (Lyle Mays) à la douceur et à la poésie discrète des ballades Ana Maria (Wayne Shorter) ou My Man's Gone Now (Gershwin). Jobim et Gerry Mulligan sont aussi au programme d'un disque qui rappelle le grand talent de mélodiste des deux interprètes. Échanges inspirés, solides envolées, voilà une belle célébration du piano.

Guillaume Bourgault-Côté

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Trad
VALSONS
Martine Billette
Indépendant
www.quebecfolklore.qc.ca

Gigueuse parmi les plus accomplies, Martine Billette réserve aussi des airs de piano de son cru en lançant un disque composé de valses qu'elle interprète en solo. Sa musique échappe complètement aux réseaux commerciaux et aux créneaux habituels de la musique trad, généralement plus proches de toutes les déclinaisons du folk. Un disque en marge dans un monde déjà marginal. La tendresse au bout des doigts, Martine Billette écrit une musique simple, influencée par ses proches. Elle en dégage un esprit sonore intimement familial, teinté par les paysages de sa jeunesse passée dans la région de Valleyfield, loin des canons de la musique urbaine. Douce mélancolie, lenteur, candeur, respirations, à peine un léger swing qui émerge parfois: le disque est pour le moins surprenant. On croit entendre une création d'un autre âge et même parfois une sorte de comptine instrumentale. Dans ce qu'il y a de plus senti.

Yves Bernard

Martine Billette: Les noces de mon frère


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Trad
AUJOURD'HUI VIVANTS DEMAIN MORTS
Les Murènes
Indépendant www.myspace.com/lesmurenes

Ils ne sont pas des marins d'eau douce, encore moins des touristes en croisière. Ils se décrivent comme une bande de sales gueules hirsutes et tonitruantes et ils racontent les forbans, les pirates et flibustiers. Par leurs textes, ils réunissent les rats de cale et cherchent l'espoir d'une cargaison à attaquer. Parfois leur tête est mise à prix, mais ils s'en tirent avec la tradition ou quelques chansons salées de leur cru. Leur son de fond de cale donne du piquant à leurs personnages colorés, qui savent pourtant prononcer les mots très clairement sur des airs de folk. En anglais, leur raucité peut même rappeler le pub irlandais. Si leurs cadences sont parfois guerrières avec les jeux de pieds ou les coups de bodhran, ils créent les ambiances avec violon, vielle à roue et concertina, chantent à l'unisson ou en harmonies et font leur théâtre avec leurs rires cruels. Toujours prêts pour l'abordage!

Y. B.

Les murènes: La fringuante

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Classique
SCHEIN
Opella Nova. Fontana d'Israel. Sagittarius, Michel Laplénie. Hortus 075 (Gillmore).

Il saute aux oreilles dès le début du disque que la musique de Johann Hermann Schein (1586-1630) est la plus italienne des musiques allemandes du début du XVIIe siècle. Ce n'est pas le premier grand enregistrement de ce répertoire, qui a connu au moins deux réussites majeures: le CD de Philippe Herreweghe (HM) et celui de Conrad Junghänel (DHM). Mais les propositions artistiques sont complémentaires: Herreweghe avait enregistré les 26 motets d'Israels Brünnlein et Junghänel avait puisé dans Opella Nova II, alors que Laplénie réunit des morceaux choisis d'Opella Nova I (1618) et Israels Brünnlein (1623). L'ensemble Sagittarius réussit très bien le mélange de suavité italienne et de rigueur germanique et dose admirablement le continuo. Quant au répertoire, il n'est pas vain de rappeler que les «trois S» (Schütz, Schein et Scheidt) sont des piliers historiques pour comprendre Bach et Brahms.

Christophe Huss

Schein Vom Himmel Hoch, Da Komm Ich Her


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Classique
GRIGOLO
The Italian Tenor. Vittorio Grigolo, Orchestre du Théâtre de Parme, Pier Giorgio Morandi. Sony 88697723842.

Tous les éditeurs cherchent les remplaçants potentiels de Pavarotti, Domingo et Carreras. On avait bien cru trouver le «nouveau Domingo» en la personne de Rolando Villazon. Mais il s'est déjà cassé la voix! Pour l'heure, se démarquent indubitablement du lot Juan Diego Florez et Jonas Kaufmann. Le premier cultive Rossini, le second fera sa marque dans l'opéra français et dans certains Wagner. Tout le monde cherche donc le ténor-type, capable de faire fondre les coeurs dans Puccini et Verdi. Après deux essais plus ou moins fructueux — Salvatore Licitra et Marcello Alvarez — Sony sort de son chapeau Vittorio Grigolo. Il a un nom marrant, qui se retient bien, il est beau et chante bien. Surtout, sa voix éclatante est bien plus phonogénique que celle de Licitra. Dans ce très classique programme de grands airs de Verdi et Puccini, il marque son territoire. On en entendra reparler.

C. H.

Vittorio Grigolo Una furtiva lagrima (Donizetti)


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