Droits d'auteur - L'élite de la chanson monte au créneau

Ottawa — C'est à un flot de critiques que le projet de loi gouvernemental C-32 sur les droits d'auteur a eu droit hier à Ottawa. La crème des auteurs et interprètes du Québec s'était donné rendez-vous sur la colline parlementaire pour dénoncer les «effets dévastateurs» du projet et tenter de convaincre l'opposition de lui bloquer la route.
Ils étaient pour ainsi dire tous là. Les vétérans de la chanson: Robert Charlebois, Louise Forestier, Richard Séguin, Michel Rivard, Luc Plamondon, Raôul Duguay. La génération plus jeune aussi: Yann Perreau, Dumas, Pierre Lapointe, Ariane Moffatt, Luce Dufault, Bernard Adamus, Mes Aïeux, Les Cowboys Fringants. Au total, une bonne centaine d'artistes sont partis de Montréal le matin en autobus — celui du show-business, bien sûr — pour livrer à Ottawa un message clair: le projet de loi C-32 est à leurs yeux inacceptable.«On attendait un grand pas en avant avec la modernisation de la Loi sur le droit d'auteur, a souligné Marie-Denise Pelletier, organisatrice de l'événement parrainé par le Bloc québécois. Ce qu'on a plutôt, c'est un recul de deux pas.»
Les griefs contre C-32 sont nombreux. «On nous parlait d'un nouvel équilibre entre les droits des utilisateurs et des auteurs, a indiqué Mario Chénart, président de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec. Mais on ne voit vraiment pas comment l'introduction d'une quarantaine de nouvelles exceptions, la réduction de la portée du droit d'auteur et de la rémunération des créateurs contribueront à atteindre cet objectif.» Selon M. Chénart, C-32 propose au final «un appauvrissement des artistes».
Principal point attisant la colère des artistes: le refus catégorique du gouvernement d'imposer une redevance sur l'achat des baladeurs MP3, comme les iPod. Depuis 1999, le régime de copie privé impose une telle redevance à l'achat de cassettes et de disques vierges au Canada. Le système — devenu caduc depuis le changement de technologie — a généré en une décennie plus de 180 millions pour l'industrie de la musique.
Or «il n'y a plus personne qui copie de la musique sur des disques ou des cassettes, fait valoir Michel Rivard. La pratique courante, c'est le lecteur MP3. Et la loi ne reconnaît pas ce changement fondamental. Il y a un vice de forme quand celui qui a dessiné le iPod, qui a trouvé la couleur et les fonctions, reçoit des redevances alors que les créateurs qui donnent une utilité à l'objet sont laissés de côté.» Ariane Moffatt et Pierre Lapointe résument: «Un iPod vide, ça ne vaut strictement rien.»
Le gouvernement a maintenu sur ce point la ligne dure hier. Selon le premier ministre Stephen Harper, ce serait une «nouvelle taxe» et les conservateurs «s'opposent à ce qu'une telle taxe soit imposée aux consommateurs canadiens». Pour être bien certains que le message sera compris, les conservateurs ont utilisé leur «question plantée» de la période de questions pour enfoncer le clou du refus.
Marie-Denise Pelletier a alors rétorqué que «le discours qui associe une redevance à une taxe est celui des opposants aux droits d'auteur. Si le ministre du Patrimoine veut militer contre le droit d'auteur, qu'il change de job».
Exceptions
Les artistes en ont aussi contre les dispositions du projet de loi qui réduisent les droits de reproduction. «On ne sera plus maîtres de nos oeuvres», affirme Richard Séguin en rappelant que C-32 propose un élargissement du concept d'utilisation équitable et non commerciale d'une oeuvre aux domaines de l'éducation et de la parodie (l'exception «YouTube» permet par exemple de créer en toute impunité une nouvelle oeuvre à partir d'une oeuvre existante, puis de la diffuser en ligne).
Cette nouvelle disposition fera en sorte que les auteurs de textes ne recevront plus de droits quand leur oeuvre sera utilisée en classe. Même chose pour les créateurs de chansons. Les radios commerciales profiteront aussi d'un assouplissement des droits à payer pour les chansons qu'elles font jouer. En arts visuels, les artistes ne recevront pas de droits de suite sur la revente de leurs oeuvres. Un tableau qui prendrait une grande valeur après sa vente initiale ne profiterait donc qu'au revendeur.
«Le droit d'auteur est le fondement de la protection de nos oeuvres, tant sur le plan économique que sur le plan moral, dit Richard Séguin. Là, on fait des brèches sur les deux fronts.» Pour son collègue Edgar Bori, cela revient à «bafouer le droit d'un artisan à gagner sa vie. Au bout du compte, on va créer plein de chômeurs».
L'Union des artistes estime que l'effet cumulé des exceptions fera fondre de 70 % les revenus des créateurs — ce qui représenterait environ 50 millions par année. Le total des impacts du projet de loi au Québec est chiffré à 74 millions.
Amendements
Les audiences du comité législatif qui étudie la teneur du projet de loi s'annoncent donc chargées. Depuis le dépôt du projet en juin, de multiples voix (dont le Barreau du Québec) se sont élevées pour dénoncer son contenu. D'autres ont à l'inverse salué la volonté du gouvernement de légaliser les activités courantes des Canadiens et de centrer la lutte contre le piratage sur les gros contrevenants. En toute chose, les débats s'annoncent houleux.
Les trois partis d'opposition ont déjà indiqué leur intention d'amender substantiellement le projet de loi. La question de la redevance sur les iPod a notamment fait consensus au sein de l'opposition le printemps dernier. La porte est toujours ouverte à cet effet.
Au centre des pressions des artistes, les libéraux fédéraux se disent réceptifs au message. «Dans sa mouture actuelle, le projet est inacceptable, a affirmé hier le critique libéral en matière de culture, Pablo Rodriguez. C'est déséquilibré, au détriment des créateurs. On va regarder ça en comité et proposer des amendements après réflexion.»