Le Devoir: 100 ans de chansons - La frénésie des grands soirs

Ça a vraiment frappé hier après-midi, dans la lumière tamisée du Métropolis. Quel après-midi! Lentement, répétition générale oblige, l'ampleur du spectacle Le Devoir: 100 ans de chansons a commencé à se profiler. Magnifique, immense, riche. On trépignait d'impatience de voir le résultat devant une salle pleine et enthousiaste.
Le collègue et coorganisateur de l'événement, Sylvain Cormier, disait pourtant la veille que «plus ça fucke pendant la générale, plus ça va bien après pour le spectacle. Alors je m'attends au pire pour la générale».Le pire, apparemment, n'est pas survenu. Il a plutôt cédé toute la place aux innombrables fignolages de dernière minute. Des ajustements plus que nécessaires pour s'assurer que les 25 artistes qui défileraient le soir même sur la scène, avec ou sans leur instrument, puissent se consacrer à l'essentiel: faire vibrer les cordes sensibles, et de belle façon. Quoiqu'il faille parfois jouer sans filet, comme avec Loco Locass, qui ne pouvait être de la générale.
Pas de catastrophe, donc. Probablement en raison de la cohésion de l'ensemble. Une courtepointe qui semblait presque s'assembler d'elle-même. Mais il faudra lire Jean Dion, en première page, pour le compte rendu d'une soirée qui ratissait large, d'Un Canadien errant (Antoine Gérin-Lajoie, 1842) à La Question à 100 piasses (Bernard Adamus), en passant par les classiques des classiques. Pas moins de 35 ou 36 chansons, rien de moins. Un bon 3h30 dans les tympans!
À la générale, donc, ça coulait de source, tout simplement. La classe de l'expérience. La classe, mais surtout la grande générosité des artistes qui ont accepté de prendre part à l'aventure imaginée par Pierre Beaulieu et Sylvain Cormier, mise en scène par Mouffe. Cormier, toujours un peu plus heureux chaque jour, insistait d'ailleurs sur ce point. «Les artistes sont tellement généreux. Ils ne sont pour ainsi dire pas payés. Ce n'est pourtant pas un spectacle-bénéfice, donc ça suppose qu'ils font ça pour ce que représente Le Devoir. Ils voient ça comme un lieu d'indépendance qu'il faut préserver.» On approuve, Sylvain. On salue. Le Québec a de quoi être tellement fier de ses porteurs de chansons.
Et le plaisir se sentait déjà depuis quelques jours. D'abord à La Tulipe, pour les répétitions de lundi et mardi. Il fallait voir Pierre Flynn et le plus qu'excellent orchestre maison donner tout le tonus nécessaire à La Maudite Machine, époque Octobre. C'est là qu'on a décidé de faire entrer toute une ribambelle de choristes sur scène au moment de la finale en crescendo. Bonne idée.
La joie, aussi, de voir les artistes se rencontrer, se retrouver et partager la scène. Celle d'un Dumas qui joue Je cherche, des Lutins, avec Pierre Flynn à l'orgue Hammond B3. Jamais cette chanson n'aurait pu sonner autant. Un beau court-circuit spatiotemporel. Même fébrilité pour Catherine Durand, qui partageait la scène et le micro avec Monique Fauteux, le temps de deux pièces d'Harmonium. Pour la petite histoire, il faut rappeler que Mme Fauteux a participé à l'enregistrement du chef-d'oeuvre qu'est L'Heptade.
Hier, c'était même un peu Noël avant le temps, lorsque Robert Charlebois s'est installé au piano pour improviser, avec des musiciens qu'il connaît bien, Le Petit Renne au nez rouge. Cabotin et bon enfant, le Garou.
Il y a aussi eu ces moments tout simplement sublimes, comme ce tête-à-tête entre Renée Martel et Richard Desjardins, amoureux de scène rayonnants dans un mardi plutôt gris. Ou encore les Mouffe, Charlebois et Louise Forestier occupés à peaufiner Lindbergh, en y ajoutant, en guise d'épilogue, quelques mesures d'Engagement. On oubliait facilement que L'Osstidcho a plus de 40 ans. «C'est un moment de connexion qui nous dépasse», a lancé Sylvain Cormier, tout sourire.
Souriants, en effet, les chefs d'orchestre de cette grande célébration de la chanson. «Comme organisation, on a une petite crise par jour. On est constamment en train de régler des choses, même si tout se passe bien», a bien sûr souligné le critique musical du Devoir. Mais heureusement, les bonnes nouvelles ont pris le dessus. Comme celle, ô combien souhaitée, de la participation de la grande Diane Dufresne, en ouverture. Et quoi qu'il arrive, a insisté Sylvain Cormier, l'orchestre maison a su se retourner «sur un trente sous». On a donc pu ajouter La Complainte de la serveuse automate à quelques heures à peine du lever de rideau. Rien n'y paraissait. N'est-ce pas l'effet souhaité?