Jazz - L'Off Festival de Labbé et Léveillé

C'est le temps de l'Off Festival de jazz. On sait que vous le savez. Bon. On sait également que vous vous doutez que des disques seront lancés lors de cet événement, l'occasion faisant le larron. Et inversement. Bien. Mais on sait que vous ne savez peut-être pas que le saxophoniste Pierre Labbé et le pianiste Yves Léveillé, pour respecter la hiérarchie alphabétique, proposeront leurs dernières compositions imprimées sur «sait-dès». Le premier sur étiquette Ambiances magnétiques, le second sur Effendi.
Avant de détailler les beautés respectives de ces deux galettes plastifiées, on tient à souligner, dix fois plutôt qu'une, que Léveillé, pour respecter l'ordre chronologique, occupera la scène de la Sala Rossa le 19 octobre à compter de «vains heurts». Labbé? Celle du Lion d'or, en deuxième partie du Karl Jannuska Sextet, qui commencera à la même heure que Léveillé. Quand? Le 23 octobre.Son album, Labbé l'a baptisé Tremblement de fer. Avant d'en causer, il y a obligation de vous signaler que cette suite musicale fut déclinée en ouverture de l'Off de l'an dernier. Labbé était alors flanqué d'une cinquantaine de musiciens, des violonistes, des trompettistes, des batteurs. Bref, des conteurs.
En juin dernier, au Studio 2270, Labbé était entouré de douze instrumentistes. Ce qui a été perdu en puissance a été remplacé par la densité ou l'intensité. C'est au choix. Toujours est-il que les noms propres des musiciens appelés étant autant de gages de qualité totale, comme on dit en langue économétrique, il faut s'y arrêter.
Ni raccoleur ni compliqué complexe
Aux saxophones, il y a André Leroux, dont le son est... Comment dire? Franc du collier. Aux autres saxos, il y a Jean Derome, l'homme des subtilités comme des élégances. À la trompette, il y a Aaron Doyle, croisement de Bunk Johnson et de Lester Bowie. Au trombone, il y a Jean-Nicolas Trottier, version canadienne et pas uniquement québécoise de Steve Turre. Aux violons et au violoncelle, Josiane Laberge, Mélanie de Bonville, Jean René et Émilie Girard-Charest séduiraient John Zorn si celui-ci les entendait.
À la guitare, on retrouve Bernard Falaise, qui prend autant de risques que Marc Ribot. À la rythmique, autrement dit au piano électrique, à la contrebasse et à la batterie, Guillaume Dostaler, Clinton Ryder et Pierre Tanguay touillent juste à temps et tout le temps les gammes et harmonies de Labbé. Plus haut on a écrit que c'était dense. C'est cela, mais c'est aussi...
C'est également très étonnant comme très captivant. Ce que le compositeur Labbé et ses amis instrumentistes ont d'admirable, c'est que, nous étonnant, ils nous déstabilisent dans le sens aussi noble que bon du terme. Labbé n'essaye jamais de nous séduire en empruntant les voies du racolage ou celles opposées du compliqué complexe jusqu'à l'absurde. En clair, Labbé réveille et aiguise les neurones de toutes nos curiosités. Et ça, c'est «hénaurme».
L'album d'Yves Léveillé s'intitule Chorégraphie. En fait, Chorégraphie est le nom propre de la huitième et dernière pièce de l'album enregistré en mai dernier au Studio Planet. Avant d'interpréter ses compositions, Léveillé, pour suivre la chronologie des gestes posés, s'est tout d'abord bien entouré. Très, très bien entouré.
Aux saxophones soprano, alto et baryton, on retrouve Roberto Murray, dont le jeu aussi sensible qu'âpre, dans le sens «le plus meilleur» du terme, a toujours réveillé dans notre mémoire celui de l'immense Booker Ervin, le ténor de Charles Mingus. À la contrebasse, il y a Adrian Vedady, dont le jeu est au fond une illustration de ce constat formulé par Stan Getz: «La contrebasse est l'instrument le plus important dans le jazz, comme la batterie l'est dans le rock.» À la batterie, Alain Bastien joue de finesse pour mieux mettre en relief les finesses, et elles sont nombreuses, de Léveillé.
Peut-être qu'on est «en dehors de la track», ce qui ne serait pas nouveau, mais on a été frappé comme séduit par le sens de la finesse et de la beauté des compositions comme du jeu pianistique de Léveillé. Ce dernier ne joue pas contre la musique ou contre quelque chose. Il joue pour, comme en faveur de la musique ou de quelque chose.
De facture classique, dans le sens intemporel du terme, cette Chorégraphie est fort bien ciselée. Tant et tant qu'à chaque écoute on découvre une autre qualité à chacun des morceaux. En fait, ce quartet se pose d'ores et déjà, avec cet album il va sans dire, comme un groupe incontournable ou essentiel. Dit autrement comme au ras des pâquerettes, on attend déjà (bis) le prochain album. Voilà, tout est dit.