Concerts classiques - Pâté chinois sans ketchup
Kent Nagano a dit, mardi, au public de la salle Wilfrid-Pelletier, avoir découvert la veille — après cinq ans, il était temps! — le pâté chinois. Il a usé de l'analogie des trois ingrédients pour comparer Messagesquisse de Boulez. La haute inspiration du maître aurait-elle donc besoin d'explications triviales pour être comprise?
Huit minutes de Des kiwis et des hommes pour huit minutes de musique, les premières évidemment plus distrayantes. Le public adore quand Yannick lui parle, alors pourquoi Kent ne s'y mettrait-il pas? Il faudrait juste que cela n'ait pas l'air de tomber comme un cheveu sur la soupe avec l'air de s'excuser de programmer du contemporain, surtout l'une des oeuvres les plus lisibles et classiques de Boulez.Tant qu'à expliquer des choses, on aurait vraiment aimé savoir quelle bien imperceptible qualité vaut à la violoniste Vivianne Hagner l'honneur d'être invitée chaque année par l'OSM. Rien de spécial encore cette fois-ci, avec un Bruch ennuyeux à périr, où allegro moderato et adagio se confondaient et où l'allegro energico final se traînait à un tempo de sénateur. À l'actif de la soliste une corde de sol bien résonante, et un son d'une pâte et assise qu'était loin d'avoir Isabelle Faust dans Brahms cet été à Lanaudière. Mais la recherche d'une certaine plénitude sonore — pourtant dénuée de brillance et de charme particulier — brisait tout élan musical.
Revenons au pâté chinois. Kent Nagano a oublié de parler des condiments, notamment le ketchup. Et qui dit ketchup dit Heinz™. La prospérité de cette société de Pittsburgh a nourri les caisses de l'orchestre symphonique de cette ville, justement venu faire une démonstration à Lanaudière il y a trois mois dans la Titan de Mahler. L'OSM a honorablement tenu la comparaison, sauf pour les cors. Il est vrai que ceux de Pittsburgh doivent faire partie du «top 5» mondial. Amusante particularité montréalaise: faire se lever les cors, à la fin, minore leur présence sonore! Dans un an on saura si la faute en incombe à la salle. Le manque de caractérisation et de puissance de ces instruments tranchait avec la démonstration altière et presque trop voyante des trompettes, une fois de plus exceptionnelles.
La Symphonie no 1 de Mahler par Nagano se déroule sans les atermoiements de la Symphonie no 5. Les dosages sonores sont minutieux, la texture, transparente, les pulsations des nombreux pizzicatos, bien présentes. Il y a des moments magiques, par exemple les clarinettes dans le Scherzo ou l'alliage cymbale et grosse caisse dans un 3e mouvement dont la douceur des violons divisés sur la citation du lied évoquant le tilleul restera gravée dans ma mémoire. Comme dans la Cinquième, le Mahler de Nagano manque un rien de hargne ou de fièvre dans les passages indiqués «en avançant» ou «soudain plus vite», cette incarnation et cette force tellurique faisaient le sel de la vision (ou le ketchup du pâté chinois) de Manfred Honeck et du Pittsburgh Symphony. Cela dit, la Titan par Nagano vaut le détour. Trois occasions pour cela: samedi à 22h à la brasserie Molson, dimanche après-midi et mercredi en matinée.