Das Rheingold par Robert Lepage au cinéma - Plus grand que nature

Le nain Alberich (Eric Owens) s’emparant de l’or du Rhin dans la production de Das Rheingold par Robert Lepage au Metropolitan Opera.
Photo: Ken Howard / Metropolitan Opera Le nain Alberich (Eric Owens) s’emparant de l’or du Rhin dans la production de Das Rheingold par Robert Lepage au Metropolitan Opera.

Le Metropolitan Opera a réussi à porter à l'écran, samedi, Das Rheingold mis en scène par Robert Lepage. Le pari n'était pas gagné d'avance, puisque le premier projet au Met de l'équipe québécoise d'Ex Machina, La Damnation de Faust de Berlioz, avait largement pâti d'une transposition cinématographique incompétente, minorant l'impact du spectacle.

Das Rheingold, premier des quatre opéras de Der Ring des Nibelungen de Wagner, posait un problème moins aigu que La Damnation de Faust, mais similaire: quelle place donner au dispositif scénique et comment cadrer l'action théâtrale? Gary Halvorson, responsable de la transposition à l'écran, avait de nombreuses fois témoigné de sa propension à abuser d'effets de caméra et à privilégier un montage nerveux, en porte-à-faux avec le rythme naturel de la musique.

A-t-il été rendu modeste par l'enjeu? Toujours est-il que sa réalisation a su saisir l'essence du spectacle de Lepage et de ses équipes, par une bonne lecture de l'action théâtrale et une approche plus classique et sobre. Ce serait encore mieux en réduisant d'un tiers le nombre des plans, pour mieux épouser le rythme de Wagner, mais les probables 250 000 spectateurs dans les cinémas de 46 pays ont pu indéniablement voir, samedi, «L'Or du Rhin de Lepage».

Le nombre de plans très rapprochés, délivrant un spectacle plus grand que nature, a été légitimé par un jeu théâtral exceptionnel des chanteurs: la hargne revancharde du nain Alberich, les calculs stratégiques de Loge, la soif de possession de Fricka, la grandeur déjà presque déchue de Wotan, l'effroi de Freia, l'asservissement de Mime. Un minimum vital de plans sur des personnages muets permettait de saisir la dynamique entre eux, même si, en vrai, sur scène, Loge est encore plus omniprésent.

Certaines intentions sont cependant encore plus lisibles à l'écran. Lorsque Alberich prédit que sa richesse va lui permettre de renverser le pouvoir des dieux, Wotan se détourne, avant de revenir se poster devant lui, en s'appuyant sur sa lance. Il pense encore à ce moment-là que les lois et règles (symbolisées par la lance) auront raison du nain avide. Mais les lois — son «ordre des choses» — n'ont déjà plus cours.

Une distribution exceptionnelle

Il faut ici donner la liste de tous les chanteurs, comme autant de héros: Bryn Terfel (Wotan), Wendy Bryn Harmer (Freia), Stephanie Blythe (Fricka), Patricia Bardon (Erda), Dwayne Croft (Donner), Adam Diegel (Froh), Richard Croft (Loge), Eric Owens (Alberich), Gerhard Siegel (Mime), Franz-Josef Selig (Fasolt), Hans-Peter König (Fafner). Oui, aujourd'hui, nous avons les voix qui ne nous rendent plus nostalgiques d'un passé glorieux.

La diffusion, qui a dévoilé la très majestueuse montée au Walhalla (le dispositif était tombé en panne lors de la première), a aussi permis de voir à quel point, au cinéma, les voix sont égalisées par les micros. Richard Croft, Loge un peu faible sur scène (et d'ailleurs conspué par une partie du public), était aussi puissant que ses confrères dans les salles de cinéma et l'Alberich d'Eric Owens, remarquable «en vrai», devenait carrément grandiose. Quant à la direction de James Levine, fruit d'une maturation de trois décennies, elle reste lumineuse. Vivement la suite...

À voir en vidéo