Concerts classiques - Épuisement tympanique

Le mieux est l'ennemi du bien, c'est connu. Et l'adage s'applique à la programmation de concerts. Autant il ne me viendrait pas à l'idée d'amener une formation symphonique à jouer Belfagor, Belkis (voir notre Vitrine du disque en page B 5) et les Fêtes romaines, de Respighi, en une même soirée, autant l'empilement d'Anaktoria, Échange, Ikhoor, O-Mega et Thalleïn, de Xenakis, s'est révélé être courageux certainement, téméraire assurément et contre-productif finalement.

Le joyau de la soirée, Thalleïn est arrivé alors que les tympans étaient déjà épuisés, notamment par l'inutile tapage d'O-Mega, qui est à Xenakis ce qu'est Sur le même accord (entendu la veille à l'OSM) à la production de Dutilleux: un astucieux mais peu signifiant «péché de vieillesse».

On a beaucoup entendu parler à Montréal de Xenakis l'architecte, de Xenakis le mathématicien. Les deux se trouvent assurément dans Ikhoor pour trio à cordes, rituel de convergence et divergence de lignes pulsées. Les trois couches se rejoignent épisodiquement, Xenakis jouant sur nos attendus de ces confluences. Bravo au trio, comme d'ailleurs à tous les protagonistes de la soirée, pour l'impeccable tenue instrumentale et la clairvoyance musicale.

Pour le reste, Lorraine Vaillancourt avait choisi des oeuvres illustrant l'art d'un Xenakis poussant à son ultime extrémité l'exploration de la production, du croisement, de l'interpénétration et du choc des sons. L'accumulation de paroxysmes pose d'ailleurs la question de la «supportabilité» d'un concert Xenakis, du moins d'un tel concert. À mes yeux, une articulation préservant Anaktoria, exemple d'exploration extrême des sonorités et de leurs frictions, Ikhoor (lignes et rythmes) et Thalleïn (qui synthétise tout) avec des pièces interstitielles bien choisies, voire des documents filmés sur Xenakis, aurait eu nettement plus d'impact.

Les Quatre Chants sur des poèmes d'Anna Akhmatova, de Kurtag, qui n'avaient pu être présentés au printemps en raison de l'éruption islandaise, n'ont pas apporté cette nécessaire respiration, surtout qu'ils culminent, eux aussi, en une expérience sonore très saturée en décibels.

Un dernier mot pour regretter les bruits parasites — probablement le ventilateur d'un système de projection. Les musiciens à l'oeuvre dans Ikhoor ne méritaient vraiment pas une telle perturbation. Les auditeurs non plus.

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