22e FrancoFolies de Montréal - Diane Dufresne «sinéquanone»

Les dianedufresnophiles sont arrivés tôt, très tôt vendredi, en après-midi, et se sont agglutinés au plus près de la grande scène de la Place des Festivals, rue Jeanne-Mance, angle De Maisonneuve. Chacun avec son masque blanc, selon la consigne. Découpé d’après le patron sur Internet, selon la consigne. Des loups blancs, tout bonnement, mais Diane avait demandé qu’ils se fabriquent le masque tel que dessiné sur son site, alors ils y ont été. Ils sont comme Piaf pour Cerdan, les fadas de la diva, sur l’air de «Je ferais n’importe quoi, si tu me le demandais...» Absolutistes comme je les aime.
Bref, les gens allaient danser au grand bal masqué d’une Diane Dufresne holographique, genre. Mettons. Supposons. Disons que c’est ça, pour faire avancer le schmilblick. Or donc, ils répétaient avec ardeur. Juste avant que le spectacle en tant que tel ne commence, la foule ayant considérablement grossi, une meneuse de claque a procédé à une répétition générale, écrans géants à l’appui. C’était bien, déjà, très synchro. Diane allait l’avoir, son happening apocalyptique. Excitation dans l’air très agréablement frais de ce vendredi soir sur la Terre.
Les compères Alain Simard et Guy Latraverse se sont amenés ensuite, très énervés comme toujours. Simard en a profité pour «peddler» son bracelet de soutien (soutien pour le festival, pas pour le poignet: c’est rapport au «petit contretemps» du million et demi promis mais non remis par le fédéral, faut-il rappeler). Latraverse, lui, a parlé de sa Diane avec tendresse, tout chose à l’idée qu’elle ait répondu encore une fois à son appel, tout impressionné qu’elle ait «conçu, écrit et scénarisé» ce spectacle en quelques petites semaines. Attachant Guy.
Et puis ça a commencé pour de bon. Clip vidéo d’intro, grosse job d’infographie sur le thème de la fiche signalétique et de la perte d’identité. Tiens, Britney Spears. Tiens, Madonna. Tiens, Diane Dufresne. Un lien à faire, là. La vraie-fausse-réelle-virtuelle Diane Dufresne est arrivée par le centre de la scène, lentement, mais sans se la jouer star. Pas besoin. C’est fou comme elle en impose, Diane Dufresne. Elle a ouvert le veston de son chic smoking, révélant une sorte de soutien-gorge par-dessus le bustier. Un truc griffé, signé Thierry Mugler, avait-elle signalé au point de presse. Ou est-ce Mario Davignon? Je n’ai pas prêté attention: pas mon monde, la guenille de luxe.
De l’oxygène
Vite fait, elle a refermé le veston. Et elle a lancé de sa voix la plus nasillarde: «De l’oxygène... donnez-moi de l’oxygèèèèèène...» Joie sur la ville: chanson-fétiche que celle-là. Alain Sauvageau et ses musiciens ont fait des tas de bruits de machines avec un peu de musique dedans. La voix de Diane était très au devant de l’orchestre, ce qui n’était pas un défaut. En fond de scène, des projections pâlottes défilaient sans qu’on les remarque tellement: Diane, relayée de part et d’autre de la scène sur les écrans géants, brillait en couleurs autrement plus vives et nettes.
Après Oxygène, la chanteuse a lâché un petit cri. Et tout naturellement s’est adressée à la foule amie. Ni clone ni virtuelle ni holographique. Rien que Diane en contact avec son monde. «Vous allez bien? À soir j’ai besoin d’oxygène donc je compte sur vous...» Déferlement d’approbation. Dans la chanson suivante, Tard dans le noir, les images projetées derrières étaient encore plus fades: des danseurs? Fallait bien regarder. Détail: entre Tard dans le soir et Le Ciel connaît la musique, Diane s’est photographiée elle-même avec un iPhone. Concept: bébelle qui déshumanise. Elle a ensuite chanté la chanson dans ledit iPhone, pour sursignifier l’intention. Comprenez: à force de se parler tout le temps avec l’iPhone, on ne se parle plus. L’iPhone rend aphone, quoi. Ça me faisait plaisir de comprendre quelque chose, pour changer.
Et puis après c’est devenu vraiment intéressant. Diane s’est fendue d’une justification (je cite à peu près): «Je n’aime pas retourner en arrière, mais le passé parle au présent et nous rappelle qu’on tourne en rond...» Et puis, tel que promis à la conférence de presse, elle a ravivé On tourne en rond, chouette chanson de l’époque Plamondon-Cousineau. Diane l’a plus parlée que chantée, remarquez, évitant les impossibles notes de ses années ultrasons, mais ça faisait bigrement plaisir quand même. Et puis, ô surprise, elle a enchaîné avec J’me sens ben, du même album de 1973. Les fans ne se pouvaient plus de joie. Le registre n’était plus le même, Diane se tenait dans les graves, mais c’était J’me sens ben et on se sentait bien. Ah! Ils savaient y faire, Luc et François! Pendant un instant, je me suis mis à rêver qu’elle les revisitait toutes, les belles de ce temps-là. D’autant que derrière, les mythiques spectacles de la diva étaient échantillonnés. D’une pâleur cadavérique, mais bon.
La beauté du monde
Concept oblige, la chanson d’après ramenait brutalement au présent : Actualités. Ramdam de Sauvageau et cie. Et puis contraste encore: Hymne à la beauté du monde. Magnifique et sans fard. Les gens chantaient, c’était trop beau. Je n’ai pas remarqué s’il y avait des projections. M’en foutais. Quand Diane Dufresne chante «Ne tuons pas la beauté du monde...», il n’y plus de concept, plus de symbole, il n’y a qu’elle. Et le public. Communion, comme à chaque fois.
L’Été n’aura qu’un jour, chanson du plus récent album de la chanteuse, l’excellent Effusions, a ramené en force les projections pâles. Blanchons, pingouins, banquise, baleines, veau, vache, cochon, couvée. La sensiblerie après l’émotion vraie. Je ne comprends pas que la différence ne saute pas aux yeux. C’est tellement évident. Quand Diane Dufresne chante L’Été n’aura qu’un jour, tout passe dans la voix: le drame humain, le sort de la planète. Le blanchon noie cette vérité. Il fait pleurnicher dessus. Enfin.
Ça ne s’est pas arrangé avec Terre planète bleue, autre chanson d’Effusions. Oui, on a eu droit à la projection de la planète. Bleue, en effet. Plus littéral, t’écris sur l’image: pendant que Diane Dufresne chante Terre planète bleue, voici la Terre, planète bleue. Concept gros comme une planète.
Dans la série je pense donc j’illustre, le pire restait à venir. L’illustrissime pianiste Alain Lefèvre lui-même en personne, invité exceptionnel de l’exceptionnelle soirée, en a rajouté une couche: non seulement a-t-il donné tout en sparages son Québec terre promise, mais on a vu tout un tas d’images grandioses et touristiques du Québec terre promise en question.
Le happening
Et puis, juste au moment où la coupe allait déborder, c’est arrivé: le moment de grâce. Partager les anges. Lefèvre au piano, Diane au micro. Chacun attentif à l’autre, n’en faisant pas trop. Le contact. La rencontre. La vérité sans sparages. Diane s’efforçant d’être à la hauteur, Lefèvre aussi. Zéro concept. Une chanson, un piano, une chanteuse. Dieu qu’un spectacle entier d’elle et lui, et rien qu’elle et lui, serait grand. On aurait pu tout enlever vendredi soir et ne garder qu’eux, et ç’aurait été magique. Magique par en dedans.
Évidemment, c’est reparti de plus belle après. Encore de la danse sur film pour illustrer Mille et une nuits. Qu’importe: suivait le happening. L’Homme à puce. Les masques, la chorégraphie, Diane avec une lampe dans le front. D’où j’étais, c’était fabuleux. Pour une fois dans ce spectacle, pas d’habillage conceptuel rien que pour habiller conceptuellement. Une bonne idée, rien d’autre qu’une bonne idée de happening à 50 000 fois deux bras sans visage, qui a fonctionné.
«Wow wow wow», a commenté Diane. Je n’aurais pas dit mieux. «Nous sommes tous des artistes», a-t-elle décanté de l’expérience. La créativité individuelle nous sauvera, ou quelque chose comme ça. Je n’écoutais plus, encore tout ébahi. Tellement ébahi que j’ai quitté le lieu, alors que Diane Dufresne amorçait L’Enfant de la lumière. J’avais eu mon show.
Trois grands moments. Des chansons de Plamondon-Cousineau à la rescousse. Dufresne et Lefèvre et rien d’autre. Et puis un happening véritable. Concept? Quel concept? Diane Dufresne transcende les concepts. Le concept, c’est elle. Et ce long texte est fini et je me demande ce qui m’a pris. Vertige de l’espace infini d’Internet. La démesure engendre la démesure.