La fanfare des dieux

Supposons ou admettons, c'est au choix, qu'on n'aime plus le jazz, qu'on lève le nez sur le blues et ses succédanés, qu'on prend la poudre d'escampette dès qu'une note de country ou de folk ou de folk-country fait écho. Pour faire court, mettons qu'on n'aime plus les musiques mais qu'on aime toujours la musique. Que nous reste-t-il à faire? Une seule solution: appeler le dieu des dieux, soit Cronos «hymne-selfe».

Allo Cronos, ça gaze? T'as le moral? T'as la santé? Bon. On te propose un troc. D'abord, faut que tu saches que ton fils Zeus veut te zigouiller. En échange de cette info d'initié, on te demande de nous envoyer de la zizique en t'abstenant de la faire livrer par Pandora. Tu nous as fait le coup une fois... on a beaucoup donné... ça suffit. Eau quai?

On vous parie n'importe quoi, des dollars de qualité caviardée par le pétrole, des euros ISO zéro déficit, des palettes d'or ou des tapis persans tissés par Pénélope, on vous parie donc qu'il va nous refiler la nouvelle galette de la fanfare Pourpour intitulée — notez bien le titre — Danse des breloques, qui a pour synonyme: La valse des babioles bariolée de sympathies, de joies, de rires, de subtilités, de rythmes contraires à la tristesse du tango...

Respect et admiration


Cet album est admirable. Parce qu'il est bon, dans le sens contraire du mal. Parce qu'il est généreux, donc adversaire des tartuffes perclus d'avarices. Parce qu'il est aussi essentiel que l'eau l'est à Pernod, le seul alcool qui fait boire de l'eau. Parce qu'il est fait de palettes sonores propres à satisfaire le bipède de 7 à 77 ans sans qu'il soit besoin d'envoyer Tintin au Congo, ou Gocon en verlan.

Ça commence à la gare avec 6250 La Track de Luzio Altobelli, accordéoniste de son état. Au début, on s'est demandé: de quel chemin de fer s'agit-il? En vingt secondes, on a saisi. La fanfare Pourpour, dont le seul défaut est son nom qui interdit le verlan comme l'envers, est à Istanbul. On s'est dit ça parce que c'est aussi orientalisant qu'enlevant. Tenez, on s'est même dit que, si François Truffaut ou Fautru avait adapté ce roman d'Éric Ambler baptisé Le Masque de Dimitrios, il aurait choisi 6250 La Track comme musique de son film, musique si limpide qu'elle n'a rien de byzantin... Oui, d'accord, byzantin... elle est facile. C'est ça pareil.

Ensuite, ils embrayent avec Pour des ours de Guido Del Fabbro, violoniste de son état. Savez quoi? On a revu Amarcord de Fellini avec cette chorégraphie dédiée aux ours comme bande sonore, et non la musique de Nino Rotta. Et Dieu sait, Cronos et pas l'autre, si on l'aime, le Rotta.

Ensuite (bis), c'est Partir, écrit et composé par le guitariste Luc Proulx, que le trompettiste Nemo Venba, ou Money Basvent, interprète. Là, on a fait un bond dans l'espace des Amériques. Ça débute... On entend la guitare de Johnny Cash puis des pirouettes sonores irlandaises. Décontenancé mais joyeux, on a pris Ricard, histoire de décompresser un peu, parce que Pernod est l'alcool des Parigots têtes de veau.

Ensuite (re-bis), Willi Grosse Baleine de Venba arrangé par Venba. Et alors? On a été hypnotisé. Pas par Pandora et sa boîte à malices, mais par le son du ténor, celui de Stéphane Ménard. Eau nom dé diou! Il a un gros son. Autrement dit, il n'a pas le son sec, le son académique. Dit autrement, il a un son qu'aurait apprécié Buddy Tate ou Lester Young. On exagère? Ben voyons... un sudiste qui exagère... qu'est-ce qu'il faut pas entendre!

Ensuite (bis + 4), c'est Sujet à changement, écrit par qui? Jean Derome, dont l'en-soi du nom est gage de qualité. C'est magique. C'est beau. Bonté divine! Tellement qu'on a abandonné Ricard pour l'ouzo, histoire de trinquer avec le Grec aujourd'hui désargenté par Moody's, ou Dix-maux. Les dix-maux du malheur écono.

Zut! On manque d'espace. Bon. Madame Lou Babin, madame au sens grec ancien, celui de la politesse préalable obligée à la politique, madame Babin accordéoniste qui animez cette fanfare depuis des lunes, on tient à vous transmettre tous les verbes qui se conjuguent avec respect et admiration. On vous tire le chapeau. Pas le petit béret auvergnat, mais bien le haut-de-forme.

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