Keith Emerson et Greg Lake au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts - Nous nous sommes tant aimés
C'était il y a presque 33 ans, la fameuse fois, Emerson, Lake et Palmer au Stade. Et six ans avant, Lucky Man au palmarès. Il y a plus longtemps encore, en 1968, Greg Lake chantait I Talk to the Wind avec King Crimson. En 1967, Keith Emerson était avec The Nice, et s'emparait du Rondo de Brubeck. C'était un peu tout ça, mardi, le spectacle d'Emerson et Lake à Maisonneuve, soirée moins événementielle que sentimentale, véritable conventum de la communauté prog montréalaise.
C'était plein, ça débordait: 1500 fadas finis, tous capables de jouer Take a Pebble et Tarkus à l'endroit et à l'envers dans leur tête. Un type avait apporté une valise pleine de photos de presse d'époque et montrait ses trésors. Une femme brandissait, elle, une photo d'elle avec le groupe, prise lors du premier show d'ELP à Montréal. Coup de chance, il y a eu une période de questions en deuxième partie, et elle en a profité pour demander à Emerson et Lake d'autographier la photo, et ces galants messieurs l'ont carrément invitée sur scène. Emerson, pendant qu'il dédicaçait de la main droite, a continué à jouer de la main gauche. Sacré Emerson, éternel show-off.Il n'y avait pas eu ça en 1977 au Stade olympique: la période de questions. On se serait crus dans une émission de la série de spectacles-rencontres Storytellers à VH1, où les invités se fendent d'anecdotes entre les chansons. À cela près qu'il y avait un décor élaboré, moitié donjon gothique, moitié studio d'enregistrement: légende d'ELP oblige. C'était bien ça le plus étrange et le plus chouette de l'affaire: le caractère «bonne franquette» de l'occasion n'empêchait pas des rappels de la grandiloquence d'antan. Fallait voir Emerson faire l'Emerson, bondissant d'un clavier à l'autre, s'échinant sur un vrai de vrai Moog (souvenez-vous, le monstrueux et fabuleux switchboard avec le spaghetti de fils), déclinant ses arpèges jusque de l'autre côté du piano (l'équivalent de Hendrix jouant de la guitare dans le dos), etc. Grandguignolesque, bien sûr, mais requis. Le voudrait-on autrement, notre gaillard?
Les versions n'étaient pas toujours très réussies (Emerson a le jeu de plus en plus approximatif, et un goût qui ne s'arrange pas dans l'arrangement), mais les raretés proposées avaient de quoi régaler les spécialistes (The Barbarian, Bitches Crystal) et il faisait franchement bon entonner les belles acoustiques From the Beginning et I Talk to the Wind avec Lake, très en voix. Qu'importe. On n'était pas là pour décider si nos héros vieillissants valent ou non aujourd'hui ce qu'ils valaient hier, mais pour dire merci. «Nous avons grandi ensemble», a rappelé Lake. Une belle fidélité qui justifiait, tant d'années après, la plus souriante indulgence.