La plage au romantique

Une fois de plus, le titre est bien choisi. Fidèles insomnies parlait du pianiste, de ses émotions, de ses fêlures, la composition devenant, disions-nous, le refuge d'une inextinguible douleur.


Jardin d'images, tout d'abord, nous amène à l'extérieur de l'atelier de l'artiste. Dans un jardin avec une lumière différente, des espèces variées. Les images sont partout, car l'inspiration d'Alain Lefèvre est cinématographique, du début de Jour de pluie, qui plane mystérieusement comme un film de suspense illustré par Bernard Herrmann, à Fafoune, composition clin d'oeil sifflée par Chrystine Brouillet comme une désinvolte musique de Vladimir Cosma pour un film de Pierre Richard.

Jardin d'images s'ouvre sur le monde, mais tous les fantômes de l'univers musical du jardin secret d'Alain Lefèvre, rencontrés dans Fidèles insomnies, sont convoqués: Michel Legrand, George Delerue, Jean Wiener et quelques autres.

Le droit au romantisme

Il est difficile pour Alain Lefèvre de quitter son jardin secret. On le comprend, puisque cette douleur, ce pessimisme larvé et ce tumulte lui donnent ses plus belles inspirations. Sur les dix pièces, on placera Jour de pluie, Tendresse et Dis-moi tout — l'orchidée en ce jardin — dans la droite ligne de Fidèles insomnies.

Est-ce classique? Non, c'est inclassable. La musique d'Alain Lefèvre, ce sont des mélodies sans paroles, des livres d'images sonores. Ce qui n'est pas classique, c'est le dosage sonore du piano, proéminent comme dans un disque de pop-jazz. Dommage.

Ce qui l'est davantage, c'est la structure des pièces autour de deux thèmes récurrents et variés. Comme dans Fidèles insomnies, ce qui tient également du «classique», c'est l'écriture pianistique, techniquement exigeante.

Dans les paroles comme dans les mélodies d'Alain Lefèvre, il y a une revendication: le droit au romantisme. Cette semaine, lors du lancement, il n'a pas mâché ses mots: «Ce qui a tué la musique classique, c'est qu'on n'a pas laissé s'exprimer les compositeurs avec leur coeur.» Le pianiste ajoutait: «Je n'ai pas de prétention de compositeur; je n'ai pas de message important à faire passer.» Demi-vérité. Le message est clair: composer, c'est en appeler au coeur et aux sentiments. «Parler d'amour, de fidélité, de beaux sentiments, ce n'est pas nécessairement la plus grande des modes et peut être très facilement tourné en ridicule», disait-il au Devoir en 2006. Il garde le cap.

Sérénité

Le Jardin se compose donc des états d'âme et interrogations d'Alain Lefèvre (Jour de pluie, Tendresse et Dis-moi tout), mais aussi de réels élans, plus radieux, dans Sous le ciel de Cap-Santé ou Québec terre promise.

Les nouvelles facettes, ce sont la ballade et la carte postale musicale. La ballade, genre «jazz autour de minuit», c'est Ville-Émard la belle, avec Paul Brochu à la batterie et Michel Donato à la contrebasse.

Les cartes postales sont italienne et chinoise. La Ballade italienne, on la verrait si bien sortir d'un café du village de Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore. Le Panda magique donne l'impression d'une comptine folklorique chinoise... entièrement made in Québec.

Restent les Petits lapins, ce «ver d'oreille» pour petits et grands enfants, qui pourrait bien faire la fortune de notre pianiste. Il est facile de s'en moquer comme il est facile de casser les oreilles du monde sous prétexte d'intellectualisme ou d'«avant-gardisme». C'est beaucoup plus difficile d'inventer de vraies mélodies. Alain Lefèvre possède ce don. Ne nous en plaignons pas!

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