L'album de famille de Beau Dommage - Le temps de l'héritage

La totale Beau Dommage à temps pour les 35 ans de la sortie du fameux premier album.
Photo: La totale Beau Dommage à temps pour les 35 ans de la sortie du fameux premier album.

Beau clin d'oeil à ceux qui ont connu ça. Une pochette de 33-tours qui s'ouvre. Jaunie exprès. À l'intérieur, les cinq CD sur le panneau de gauche, les deux DVD sur celui de droite, et un grand album-souvenir dans le panneau du milieu, façon scrapbook stylisé, 38 pages avec les textes des chansons, des coupures de presse, des photos, des détails, des témoignages manuscrits de Clémence, Fiori, Julien Clerc, Stéphane Archambault pour Mes Aïeux, etc.

Du côté CD, outre les albums studio du groupe, il y a tout un tas de maquettes, chansons inédites et autres versions singulières (Harmonie du soir à Châteauguay avec le Grand Orchestre du Splendid!). Du côté DVD, des émissions de télé d'époque (Beau Dommage à Lise Lib!), des captations de spectacles et un documentaire tourné au moment où le groupe s'est reformé en 1994. La totale Beau Dommage, quoi, à temps pour les 35 ans de la sortie du fameux premier album. La totale? «C'est quand même pas The Beatles Anthology en trois volumes», relativise Robert Léger au bout du fil. «Ni le coffret Pet Sounds des Beach Boys», offre Michel Rivard à son tour. «C'est vrai qu'il n'y a pas la version Beau Dommage de Belle journée pour un suicide, ma première chanson. C'est un choix, mon veto. Juste le titre me donne des frissons. Non, l'idée n'était pas de vider les fonds de tiroir, mais d'ajouter ce qu'il y avait d'intéressant dans les archives.»

À commencer par les mythiques maquettes du premier album. Versions primitives de Tous les palmiers, Un ange gardien, Chinatown, Montréal et... Quand c'est l'matin. Chanson qui attendra le premier album solo de Pierre Bertrand pour émerger. C'est drôle d'entendre ça par Beau Dommage, on dirait les Sultans avec Bruce. Rivard: «Celle-là méritait d'être entendue. Montréal en démo, pas pareille, ça se justifie aussi.» Léger clôt le mini-débat: «Mais toutes les prises de toutes les chansons, même les Beatles sortent pas ça. Il y a des limites.»

C'est mon problème. Je veux tout le temps tout. Alors qu'il y a déjà tellement là-dessus. Exemple: Disneyland. Une merveille de Pierre Huet et Rivard, dont on a retrouvé une performance pour la radio, en 1975. «À Disneyland Davy Crokett était en vie / J'aurais voulu mourir debout à côté de lui / En défendant l'Alamo / Je m'en souviens, c'était deux ans avant Zorro»: pur Beau Dommage première époque. «On avait peut-être une quarantaine de chansons au moment de faire le premier album, précise Léger. Mais il ne reste rien des autres, sinon des titres, des fois un bout de refrain qu'on se rappelle.» Rivard évoque «une chanson qui s'appelait Psychologie: c'était une fille qui parlait à la psychologie, qui disait "Psychologie va voir mon chum..."».

Encore heureux d'avoir Disneyland, donc. Et quelques autres trésors. L'Inconnu du terminus façon Beau Dommage. D'étonnants rejets de l'album retour de 1994: touchante Adèle, craquante Regarde, papa. «Elles auraient eu leur place, admet Marie-Michèle Desrosiers. Beau Dommage, on l'a assez dit, c'était le processus démocratique, et les choix étaient parfois douloureux. Je les trouve belles aujourd'hui, même dans leur état inachevé.» La vérité est que tout l'album de 1994, ici intégré au corpus, trouve sa pleine justification. «Avec le recul, ça s'écoute autrement, observe Rivard. Je pense qu'on avait vraiment retrouvé la manière Beau Dommage. Ça fait partie de l'oeuvre.»

Il y a aussi les ouailles rapaillées, Tellement on s'aimait, créée pour les retrouvailles au Forum en 1984, les rescapées du projet avorté avec Félix (Bozo, La Mort de l'ours), et la superbe Gisèle en automne, destinée au film Le Soleil se lève en retard. Grosse crotte sur le coeur, on a revisité Un autre jour arrive en ville: «Dans tout ce projet de coffret, confie Marie-Michèle, ça a été la première unanimité: "remixer" notre troisième album comme il faut.» Léger: «C'était ben mauvais! Ça avait été fait à Toronto par un anglophone, c'était tout "muffé".» Claude Champagne et Pierre Bertrand sont retournés aux bandes multipistes, libérant littéralement les chansons de leur carcan sonore. Rivard: «Enfin, je peux endosser ce disque-là!»

Du beau travail, contenant et contenu. Digne héritage. «Je suis content de la totalité, résume Rivard. Laissons faire le mythe, c'est simplement un ensemble de chansons qui s'écoutent. Je peux donner ça à mes enfants et dire fièrement: c'était ça que je faisais avec mes amis quand j'étais petit...»

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