Tina Turner au Centre Bell - Soutenir la comparaison
C'est pendant We Don't Need Another Hero que ça m'a frappé: Tina Turner n'a vraiment peur de rien. Derrière elle, derrière la Tina Turner de 69 ans, la Tina Turner de 45 ans resplendissait, tignasse blonde rétro-futuriste ça de haut sur la tête, telle que filmée en très gros plan pour le film Mad Max Beyond Thunderdome. Sur la scène du Centre Bell, transformée pour ce numéro-là en cage géante (comme dans le film), la Tina Turner de 69 ans arborait la même perruque géante. Fièrement. Sans problème, sans sourciller, la Tina Turner d'hier soir soutenait la comparaison.
De fait, elle soutenait toutes les comparaisons, depuis avant le début du spectacle, à bien y penser: c'est le collègue Philippe Rezzonico qui l'observait fort justement, c'est du Rolling Stones et du Springsteen (Born to Run!) qui jouait, et jouait fort, en musique d'ambiance. Déjà, fallait assumer. Et dès la première chanson, torride Steamy Windows, ses quatre danseuses se sont amenées, sculpturales comme vous pouvez l'imaginer, et Tina n'a pas mis trente secondes avant de danser avec elles. Allez, les filles, je vous suis! Pas de problème: ç'aurait pu être ses filles, non, ses petites-filles (faites le calcul!), et Tina dansait, avec ses jambes de Tina, ses mollets de Tina, ses talons aiguilles de Tina, et Tina soutenait la comparaison, et Tina triomphait! Et sans jamais jouer la vantarde, sans jamais lâcher un «Pas mal, la presque septuagénaire». Pas besoin. Elle dansait, souriait de son immense sourire plein de grimaces et de dents (très James Brown dans le genre, mais avec du rouge à lèvres): elle était sa propre victoire sur le temps et la gravité, à chaque instant.Au retour de l'entracte, c'était plus flagrant encore: en cinq grosses minutes de montage photo et vidéo, on a vu la vie de Tina Turner défiler devant nous. Elles se succédaient, insolentes de jeunesse: la Tina du T.N.T. Show de 1965, la Tina d'Ike & Tina Turner, la Tina frénétique qui avait le même âge que les tout aussi frénétiques Ikettes (les danseuses des années Ike: on suppose que les danseuses de Tina sont ses Tinettes... ), et jusqu'à la Tina dont Mick Jagger agrippait le popotin devant les multitudes à Live Aid.
Elle ne redoutait pas même le ridicule, la Tina Turner d'hier soir. C'est tête haute, port altier, la totale classe, qu'elle multipliait les numéros de productions du genre qu'on voit dans les soirées des Oscars: imaginez des combats de pacotille entre danseurs-ninjas et faux agents de sécurité... On aura eu toute une séquence James Bond, avec l'écran géant pastichant les fameux génériques d'intro, avec James lui-même au sommet d'un escalier-grue, et Tina chantant le thème de Goldeneye.
Peur de rien? Même pas des hauteurs. Il fallait voir ce petit perchoir sans rampe, sur tige hydraulique, hissant la dame à 20 mètres: j'avais le vertige rien qu'à la regarder. Peur? Elle a même osé s'asseoir et se chanter le coeur, à travers une version chavirante piano gospel du Help! des Beatles. Soutenant la comparaison, jusqu'à la souffrance. Et elle remet ça demain.