La cité du son

Photo: Pascal Ratthé

Que devient la ville l'été, que peut-on y vivre, voir, remarquer, sentir, au-delà de toutes les activités officielles qui se multiplient sous le soleil? Nos journalistes vous font part des découvertes, des coups de coeur ou des sourires en coin que Montréal, Québec ou Ottawa, sous le ciel estival, leur ont inspirés.

Quatre grands axes de voie rapide et de voix assourdissantes s'entrecroisent: l'avenue Viger, la rue Notre-Dame, l'autoroute Ville-Marie, l'avenue Papineau. Le pont Jacques-Cartier, un chemin de fer, une entreprise de location de camions et l'usine Molson ajoutent leur méchante part de fracas. N'empêche, en soirée, une tonitruante cacophonie coulée dans le rock et le metal hurlant domine toutes les autres fureurs urbaines.

Les batteries, les amplis et les cris s'entendent à plusieurs dizaines de mètres de la Cité 2000. L'incubateur à talent pouponne des centaines de jeunes musiciens de Montréal. À pleine capacité, le centre de répétition et de création du 2000, Notre-Dame Est peut accueillir en même temps jusqu'à 118 bands dans autant de petits studios assez mal insonorisés. «J'ai vérifié et je peux le confirmer: nous offrons la plus grande concentration de locaux de répétition pour la musique en Amérique du Nord», dit fièrement Denis Bousquet, président de Gestion Cité 2000, qui voit aux affaires courantes du lieu.

Cité 2000 occupe plus de deux kilomètres carrés de surface bétonnée et partiellement aménagée de la défunte Canadian Rubber Co. L'usine du Faubourg à m'lasse, inaugurée en 1873, progressivement agrandie au XXe siècle, utilisait le très moderne procédé de la vulcanisation pour transformer le hevea brasiliensis en bottes, en chaussures et autres produits de caoutchouc vendus partout en Amérique, y compris sur place.

«Les immeubles allaient être démolis quand nous leur avons trouvé une nouvelle vocation, explique encore le président Bousquet. Nous avons d'abord pensé à l'entreposage, puis nous avons cherché une activité compatible. C'est là que l'idée des locaux de répétition s'est imposée.»

Le metal, plus ou moins heavy, ne pèse pas sur le carton. D'autant moins qu'une bonne partie des mini-entrepôts sert à des entreprises culturelles, la compagnie Les 7 Doigts de la main et le Cirque Éloize, par exemple. «On a même pris soin de la Cadillac de Popa», révèle M. Bousquet en évoquant le personnage de la série La P'tite Vie, de Radio-Canada.

Sa caverne urbaine attire une ribambelle de curiosités culturelles. Les Productions Double Effet, par exemple, une entreprise spécialisée dans la construction de décors. Au moment de la visite, les ébénistes et les autres artisans venaient de terminer la scénographie d'une nouvelle série télé consacrée à Frontenac et entamaient une table pour l'émission quotidienne Bazzo.tv. Télé-Québec, Radio-Canada et TVA sont à un lancer de marteau des ateliers.

Mais bon, l'ancienne Cité de l'image (c'était le nom de l'entreprise à son ouverture ) est surtout devenue la nouvelle métropole du son. Les petits cubicules de répétition, de la taille d'une chambre à coucher, se louent pour près de 500 $ chacun, le plus souvent à huit ou dix musiciens qui se divisent le temps d'occupation, entre 7h le matin et minuit le soir. La symphonie déconcertante commence habituellement vers 17h, après le boulot (ou les cours) des artistes du dimanche et des autres jours de la semaine.

«Il y a beaucoup de bands metal ici, et ça nous permet d'échanger entre nous», explique Mathieu Dufresne, guitariste du groupe Synectik, locataire en règle de la Cité 2000 depuis un an. Synectik, qui fait dans le «death metal», partage son local avec un autre groupe, chacun ayant déployé son matériel. Les deux grosses batteries amplifient l'impression de se retrouver dans un walk-in surchargé et surchauffé. Au moment du passage, les gars recevaient Roxana en audition. «On joue pour le plaisir et tant mieux si un jour on peut percer professionnellement», résume Hugo Mercille, l'autre guitariste de Synectik.

Des bands du gigantesque garage d'hier ont aujourd'hui tenu promesse. La secrétaire du président rappelle quelques clients qui se sont fait un nom, et pas seulement dans le genre métallique: Anonymus, Malajube, Mes Aïeux, Zébulon...

«On ne manque pas de locataires et on a des listes d'attente pour occuper nos locaux», explique encore M. Bousquet. L'affirmation semble confirmée par les préparations en cours dans l'immense salle de séchage des tuyaux (la hose room), l'élément architectural le plus impressionnant du complexe. La verrière est restaurée et de nouveaux petits espaces de répétition seront bientôt aménagés au sol.

La double vue est franchement époustouflante, avec au nord la ville en panorama et au sud la grande carcasse du pont Jacques-Cartier, l'île Sainte-Hélène et le fleuve, évidemment. Une des plus belles scènes du film Un zoo la nuit a été croquée un étage au-dessus. Alors pourquoi ne pas laisser l'immense loft industriel en l'état et le louer comme tel, pour des tournages, des événements promotionnels ou même des spectacles mettant en vedette les plus célèbres locataires, aux étages d'en dessous? «On a fait notre choix: on n'est pas dans cette business-là», répond simplement le président Bousquet.

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