Le temps des fleurs

Michel Louvain
Photo: Jean-François Leblanc Michel Louvain

Michel Louvain vit enfin ce qu'il a désiré sa vie durant: l'unanimité. La critique, les gens du métier, jeunes et moins jeunes, tout le monde en convient désormais: la vie serait moins belle sans Michel Louvain. Rencontre avec un chic type.

L'entrevue ne pouvait avoir lieu dans un restaurant: hors de question, m'a dit la dame. Trop de gens seraient venus à sa rencontre: autographes, bons mots, témoignages, on en aurait eu pour la journée. C'est comme ça: Michel Louvain aime les gens, les gens l'aiment et le lui disent, d'autant qu'il n'est pas gênant et que ça lui fait plaisir. Vraiment plaisir.

Alors j'ai suggéré à madame Faubert, sa très dévouée relationniste, que ça se fasse chez moi. On serait tranquilles. Tranquilles? C'était sans compter les deux coins de rue qui séparaient sa place de stationnement de l'appart. En chemin, m'a-t-il raconté tout guilleret, on l'a interpellé, hélé, arrêté au moins dix fois. Beau bonjour ici, félicitations là. Un camionneur l'a salué en roulant, quelqu'un lui a dit qu'il venait tout juste de le voir à la télé. «C'est un peu plus long, mais j'aime ça! J'aime tellement ça!» Au marché Jean-Talon, d'où l'on diffuse en direct Des kiwis et des hommes, c'était pareil. «Ça se fait au deuxième étage. Des gens criaient d'en bas pour que je me penche: ils m'envoyaient la main, prenaient des photos. C'est incroyable que ça m'arrive encore aujourd'hui, après 51 ans de carrière. C'est pas des farces, je vais avoir 71 ans... »

Michel Louvain, regard embué, accuse le coup. Tel un enfant dont ce serait le plus beau Noël. Il n'en «revient pas» de cette grande «vague d'amour» qui le submerge alors qu'il s'apprête à réaliser un rêve: faire le Forum. Qui n'est pas moins le Forum parce qu'une commandite en a fait le Centre Bell. La vraie grosse place. La place des grands. Certes a-t-il déjà chanté en vedette à Wilfrid-Pelletier, mais le Centre Bell, symboliquement, fût-ce en configuration théâtre, c'est l'apothéose. Il y sera ce dimanche, à guichets fermés. Et la veille, en supplémentaire. L'avant-veille, c'est-à-dire ce soir, il chante à Joliette. Mercredi, il était à la salle Albert-Rousseau, à Sainte-Foy. La tournée 50 ans d'amour roule ainsi depuis l'an dernier et se poursuivra au moins jusqu'en mars 2009.

Michel Louvain trouve encore le moyen de ne pas y croire. «Je suis un inquiet. Hier, j'ai appelé à Rimouski pour savoir combien ils avaient vendu de billets. Le show est en octobre, c'est déjà à moitié plein. La fille m'a dit qu'à ce rythme-là, c'est sûr que ça va être plein. Que j'avais surtout pas à m'en faire. Mais c'est plus fort que moi. J'ai toujours peur que ça s'arrête, que le monde ne m'aime plus.» Pas un soupçon de fausse modestie là-dedans. Son regard embué en fait foi: cet homme-là prend tout à coeur. À commencer par l'amour du public. «Je me demande si c'est pas ma force, mon anxiété, ma fébrilité, le fait de n'être jamais complètement rassuré. Je ne pourrais pas supporter que les gens repartent déçus. Alors j'en fais plus. Et j'en fais trop.»

Tout est important

Si l'insécurité est le moteur des perfectionnistes, Michel Louvain roule en grosse cylindrée. «Mon régisseur me dit que je suis épouvantable, que je fais son job. Oui, je vois à tout. Je suis fait comme ça. Le batteur, faut pas que sa boucle soit croche. L'autre jour, un des musiciens n'avait pas les souliers propres à mon goût: il est allé les faire cirer. Tout est important. Si je vois des traces de doigts sur le piano, je vais dans la loge chercher un essuie-tout et je frotte! Mon micro et le micro de mes deux choristes sont désinfectés chaque soir, mais je repasse derrière avec mon Purell. Mon régisseur trouve que je suis fou, mais mes choristes me disent qu'elles l'apprécient. Tout doit être impeccable! C'est ma fierté.»

Ça remonte à loin, cette exigence. Bien avant le vedettariat. C'est familial. Il faut entendre Michel Louvain évoquer ses matins d'enfance à Thetford Mines, le père déjà parti pour la mine, la mère qui avait repassé les pantalons, les chemises et les petites robes, les sept enfants partant pour l'école, chic et propres. Et le petit Michel qui, à la récré, jouait peu, pour ne pas «salir son linge». Et puis le père qui revenait tard, après les enfants: «On le voyait arriver tout sale.» Jamais on ne verra le jeune Michel Poulin débraillé, dépeigné, malpropre. Devenu Louvain, telles ses idoles Dean Martin, Frank Sinatra, Tony Bennett, le chic est sa marque de commerce: «Tu regardes mes premières photos, celle de Gaby de Montréal, de Jac-Guy, c'est toujours la chemise blanche, la cravate, les boutons de manchette.»

Une certain standing. Un certain sourire. Un charme fou, naturel. On le rencontre et on comprend: ce gars-là est irrésistible. Je vous le donne en mille: il avait apporté des chocolats à ma douce aimée. Des bons. Pas pour impressionner le journaliste: par pure gentillesse. Michel Louvain est attentionné. Et depuis 50 ans, son public est traité aux petits soins. «Les gens, c'est ma famille. Je les aime autant qu'ils m'aiment.» Certaines dames le suivent depuis le début, quand il était la toute première idole de la chanson au Québec, déclencheur d'émeutes. L'automne dernier, au Saint-Denis, elles étaient excitées comme au premier jour. En 50 ans, s'empressaient-elles de déclarer à «monsieur le journaliste», jamais «leur Michel» ne les a déçues.

À la fin, tant d'honnêteté, tant d'attention, tant de professionnalisme convainquent tout le monde: à la fin, il n'y a plus de Michel Louvain pour les matantes, de Michel Louvain kétaine, mais seulement un Michel Louvain pour tout le monde. Kétaine, le plaisir ainsi partagé? Le mot en perd son sens. Kétaine est un mot vulgaire, et Michel Louvain est le contraire d'un artiste vulgaire. Kétaine, un spectacle de variétés aussi rondement mené? Allez-y voir! Kétaines, toutes ses chansons qu'il fait bon entonner à gorge déployée, de Lison à Sylvie et jusqu'à La Dame en bleu? Oui, La Dame en bleu. Au Centre Bell, on la chantera tous, La Dame en bleu, et ce sera fabuleux. «Je me demande si cette idée qu'on avait de moi comme chanteur kétaine n'a pas commencé à changer quand Dan Bigras m'a invité à participer à son Show du Refuge. Son idée, c'était que je chante Mon ange puis La Dame en bleu avec Éric Lapointe. On a dit à Dan que c'était une idée de fou. Mais ç'a marché. Et puis là, c'est Guy A. Lepage qui m'a invité à son show-bénéfice au Métropolis! Et c'est les Porn Flakes qui m'ont accompagné dans La Dame en bleu!»

Contents comme tout, les Porn Flakes voulaient refaire le coup au Centre Bell. «Si vous voulez, on le fait!» Louvain n'ira pas jusque-là, mais il est ravi de l'intention. «Tout devient possible pour moi, c'est comme si toutes les barrières tombaient. Je suis interviewé par Monique Giroux, par René Homier-Roy, par Sylvain Cormier du Devoir! Vous savez, moi, j'ai toujours rêvé de chanter en duo avec Jean-Pierre Ferland, mais on a toujours été comme dans deux mondes, et j'ai toujours regretté ça. Là, au moins, je vais aller chanter sur la scène où il a terminé sa carrière. Et je suis content. Et je pense que je le mérite.»

Des larmes coulent le long de ses joues. Il s'en excuse. «Je savais que ça arriverait. Ça fait des jours que ça monte, ça monte! Si je pouvais mettre un micro à côté du coeur et qu'il pouvait parler... » Après le spectacle du Centre Bell, il ne fêtera pas jusqu'aux petites heures. «C'est pas mon genre. Je vais recevoir les gens, j'ai une belle loge, mais après, je vais descendre dans le garage, prendre ma voiture et retourner chez moi. Et là, comme après chaque spectacle, je vais m'ouvrir une bière froide. Ça fait être un vide épouvantable, mais en même temps, je vais être heureux. Heureux de mon show, et heureux parce que j'ai d'autres shows qui s'en viennent... »

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Collaborateur du Devoir

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50 ans d'amour

Michel Louvain en spectacle au Centre Bell, samedi et dimanche.

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