Eric Clapton au Centre Bell - Sérieusement bleue

Mercredi soir au Centre Bell, certains fans d’Eric Clapton étaient en déficit d’immortelles. Le guitariste s’est plutôt prêté à un exercice proche du «workshop» pour initiés, surtout pendant la portion acoustique.
Photo: Marie-Hélène Tremblay Mercredi soir au Centre Bell, certains fans d’Eric Clapton étaient en déficit d’immortelles. Le guitariste s’est plutôt prêté à un exercice proche du «workshop» pour initiés, surtout pendant la portion acoustique.

C'était une soirée de cette sorte-là. Sérieusement bleue. Les titres parlaient d'eux-mêmes: Outside Woman Blues, Driftin' Blues, Traveling Riverside Blues. Un dessin avec ça? Coloré en bleu? Si j'ajoute les morceaux de blues, de blues-rock, de ragtime et de rhythm'n'blues qui n'ont pas le mot blues dans le titre mais tout plein dans les notes et qu'Eric Clapton s'est mis en devoir d'honorer mercredi soir au Centre Bell, ça commence à faire beaucoup: Hoochie Coochie Man et Got My Mojo Working de Muddy Waters, Before You Accuse Me (Take A Look At Yourself) de Bo Diddley, Key To The Highway de Big Bill Broonzy, Don't Knock My Love de Wilson Pickett, les traditionnels Motherless Child et Motherless Children, et jusqu'au ragtime Rockin' Chair de Hoagy Carmichael (estampillé 1929).

Peut-être serais-je encore plus explicite en fournissant une courte liste des immortelles du répertoire de Clapton qui ne figuraient pas au programme: White Room, Sunshine Of Your Love et Badge de l'ère glorieuse de Cream; Can't Find My Way Home, Let It Rain et Presence Of The Lord de l'aventure Blind Faith; Tears In Heaven, I Shot The Sheriff, After Midnight, parmi les étoiles du parcours solo. On appelle ça un choix éditorial. En clair, qui m'aime me suive, et j'aime le blues. Cent fois plus que mes succès grand public, semblait signifier celui qui, dès 1964, quittait les Yardbirds pour cause de trahison pop.

C'était signifié jusque sur les écrans géants, dans ces gros plans du visage grimaçant de Clapton (quand on joue du blues, ça fait mal jusque dans les rides d'expression), dans ces gros plans sur les mains de Clapton, surtout ses doigts sur le manche de sa Strat noire (quand on étire les cordes comme ça, même les cordes ont mal). On passait aussi du temps d'écran sur les mains de l'acolyte Doyle Bramhall II (qui tient auprès de Clapton le rôle de feu Duane Allman, duelliste légendaire de Layla), et celles du claviériste Chris Stainton (particulièrement lestes). Focalisation totale sur la musique et les musiciens. Pas d'effets, pas de sparages. Du concentré de concentration.

S'en plaignait-on? Ça dépendait du client. Certains étaient en déficit d'immortelles, de toute évidence, et ce n'est pas la salve finale Wonderful Tonight-Layla-Cocaine qui les aura rassasiés. Les fans du Clapton guitare-héro de 1970 auront apprécié le retour en grâce de l'album Layla & Other Assorted Love Songs, quatre fois échantillonné: la version du Little Wing de Hendrix, tout particulièrement, était à chérir. Les aficionados du Clapton bluesophile, eux, exultaient, comme de raison. Et non sans raison. L'homme a-t-il déjà été plus appliqué, plus consciencieux dans ses transpositions des standards du blues? Pas depuis les Bluesbreakers, en 1966. A-t-il jamais mieux joué, été plus habité par ses maîtres? Pas souvent.

On était mercredi à la limite du «workshop» pour initiés, surtout pendant la portion acoustique, où tout le monde, les 14 264 spectateurs comme Clapton et les siens, semblait retenir son souffle: respect oblige. On n'était pas à la fête. C'était à se demander si on était bien dans un amphi sportif. Signe de réussite absolue pour les uns, de relative maldonne pour les autres. Moi? J'ai pleuré pendant le solo de Little Wing, et quand je pleure, je suis content. Ça m'enlève le blues.

Collaborateur du Devoir

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