Entrevue avec Renée Martel - Un retour célébré à pleins poumons, et à plusieurs...

Allez, on réécoute. Est-ce la vingtième fois aujourd'hui? Par-dessus les quarante fois d'hier? La voix de Renée Martel résonne, belle, pleine, magnifique à travers les 14 chansons de son extraordinaire nouvel album, son premier de chansons originales depuis Authentique, en 1992. Son premier album de nouvelles chansons depuis la fin de sa carrière, faut-il préciser. Je me souviens de cette fin prématurée, c'était en 1999: elle étouffait quand elle chantait, poumons atrophiés. Fallait renoncer: elle renonça, tête haute. «J'avais une maladie pulmonaire, je n'étais pas à l'article de la mort», résume-t-elle aujourd'hui, de l'autre côté de ma table de salle à manger. «Je tiens ça de mon père, je ne suis pas capable de me prendre en pitié. Oui, je ne pouvais plus faire le métier que j'aimais, mais j'allais faire autre chose, peindre, n'importe quoi. Tant mieux, c'est mon métier qui est revenu.»
D'on ne sait où. Peu à peu, du fin fond d'elle, le souffle est revenu, et avec le souffle, la voix, et avec la voix, l'envie de chanter. «C'est dans mon auto que je me suis réessayée. Je me disais que là, personne ne pourrait m'entendre. Si je tousse, si j'étouffe, si je fausse, si je craque, c'est pas grave. Je suis passée à travers une chanson. Et puis une autre. J'étais capable! Ça s'est amélioré petit à petit: avant que je remette les pieds sur scène, il a quand même fallu deux ans.»« Yessss ! »
Une participation triomphale à la Carte blanche d'Isabelle Boulay aux Francos, à l'été 2006, un show d'essai au Vieux Clocher de Magog en mai 2007, et c'était reparti. À chaque spectacle, la voix était plus forte, la chanteuse plus confiante. De là, tout redevenait possible, y compris un retour sur disque. «C'était pas si évident que ça. À chaque étape, j'avais mes doutes. Autant je ne suis pas une fille qui s'apitoie sur son sort, autant je suis une fille qui doute. Est-ce que les gens allaient être encore intéressés? À Magog, ils ont refusé du monde. Et partout depuis, c'est plein. Mais chaque soir, quand on m'accueille, je n'en reviens pas. La grosse boule dans la gorge. Et après ça passe.» Comme si les quarante ans de carrière, les disques d'or, les succès, n'avaient pas suffi à la rassurer quant à la fidélité du public. «Avant, je trouvais ça normal, le succès. Je n'avais pas connu autre chose. Avec Liverpool, ç'a été le vedettariat du jour au lendemain, et ç'a continué. Même petite, j'étais habituée à la popularité de mon père. C'était acquis. La maladie a tout changé. Maintenant, quand je commence mon show, je me revois seule dans ma maison de campagne, malade, toutes ces années. Toute seule. Maintenant, après chaque show, je tape dans les mains de Marc [Beaulieu, son directeur musical] et de Jeff [Smallwood, son guitariste attitré, seul autorisé à utiliser la guitare de Marcel Martel], et je crie "yessss!"»
Et maintenant, radieuse, excitée, extatique, elle voudrait crier sur tous les toits qu'elle a un nouveau disque et qu'elle n'en revient pas de la qualité des chansons qu'on lui a proposées et de toutes les rencontres qu'elle y a faites. «C'est comme un conte de fées. On a fait une sorte d'appel à tous, et on s'est retrouvés avec pas loin de 75 chansons. Il a fallu faire une journée d'auditions à Montréal. C'était incroyable. Ça rentrait, ça sortait du studio! Mario Peluso, Richard Desjardins, Catherine Durand... » Catherine Durand témoigne: «C'était surréaliste. Renée était là, et Marc Pérusse le réalisateur, et Marc Beaulieu, six ou sept personnes derrière la console. Moi, j'avais ma petite enveloppe avec ma petite chanson. Ils l'ont écoutée deux fois d'affilée, Renée a bien réagi tout de suite. Heureusement! C'était quand même gênant. Finalement, Renée a demandé de l'écouter une troisième fois. Quand je suis sortie du studio, j'ai croisé Richard Desjardins. Il arrivait lui aussi avec le démo de sa chanson... »
Une chanson de Desjardins
Quelques mois plus tôt, c'est avec un album de Renée Martel en main que Desjardins s'est présenté dans sa loge de la salle André-Mathieu... pour le faire autographier! Voudrait-elle aussi d'une chanson de lui? «Imagine, moi qui l'admire tellement, c'est lui qui était tout timide. Trois jours après, il m'appelle et me chante sa chanson. Je pleurais, ça n'avait pas de bon sens, c'était trop beau!» Ce l'est, en effet. Pure merveille, ballade country-folk délicatement swing à la Patsy Cline, intitulée À un coeur de cristal, histoire de rupture entre deux êtres fragiles qui cherchent à se ménager. Quand Renée chante «C't'arrivé sans le vouloiiiiir», c'est beau à remplir un lac de larmes, et je défie quiconque de ne pas se noyer dedans.
Et ça, c'est une chanson sur quatorze. Je me passerais du duo avec Charlebois, un peu facile sur les bords (satané Robert qui aligne les clichés country... ), mais toutes les autres sont à chérir. Normal, chacun s'est donné corps et âme à Renée: comment faire autrement? Bourbon Gautier n'a rien écrit de plus tendre et de plus touchant que Ma nouvelle robe. Luc de Larochellière s'est encore montré l'homme de la situation, as du portrait sur mesure, décrivant sur commande le petit-fils de Renée (Monsieur Henri) avec autant de verve que la tante Adrienne d'Isabelle Boulay. Gilles Valiquette, Roger Tabra, Mario Peluso, Éric Goulet, Andréanne Alain, Paul Daraîche, Catherine Durand ont tous pareillement répondu à ce qui n'était rien de moins qu'un appel du coeur. Et Marc Pérusse n'a eu qu'à coudre les points de suture, avec des cordes de guitare.
Renée Martel elle-même a écrit trois textes qui comptent: Qui je suis, sorte de résumé de vie en forme de résolution, Le Coeur cassé, évocation crève-coeur d'une peine d'amour, et surtout Mon père, sans doute la plus belle chanson jamais écrite par une fille à son père. Sans jamais mentionner le mot père. «Je ne voulais pas une chanson qui dise: "Papa, tu me manques... " J'ai pensé à ce chêne centenaire qui était devant ma maison à Knowlton, que je ne voulais pas voir mourir mais qui mourait quand même, et toute l'histoire était là.» Celle-là aussi, fait pleurer. Ce qui est bien, c'est qu'il y a Monsieur Henri juste avant, où l'on rit. «Avec moi, c'est comme ça. On rit beaucoup, on pleure beaucoup.» Et Renée Martel d'éclater d'un rire plus que joyeux. «Là, je ris. Mais y a rien qui me dit que dans six mois je vais encore avoir la santé. Et la voix. Pas de garantie. Je sais seulement que maintenant, je vis un bonheur extraordinaire, et je le savoure.»
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Collaborateur du Devoir
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L'HÉRITAGE
Renée Martel, Musicor - Sélect