Chanson - Voyage au pays des vivants

Bruce Springsteen en concert
Photo: Agence Reuters Bruce Springsteen en concert

Une grosse demi-heure que je cherche un titre à ce papier. Quelque chose qui décrirait l'expérience exaltante, vivifiante, régénératrice, galvanisante, salvatrice, life-affirming d'un spectacle de Bruce Springsteen et son E Street Band. Quelque chose avec le mot «vie» dedans. On ne se refait pas, c'est le titre d'une vieille chanson de Johnny Hallyday qui me revient: Voyage au pays des vivants. Ça dit grosso modo ce que je veux dire. À savoir que, soir après soir, 15 000, 20 000 personnes se sentent vivre intensément parce que le gars sur scène, avec son groupe, ne veut jamais rien de moins en retour que ce qu'il donne, c'est-à-dire tout ce qu'il a.

Ça n'a jamais été plus clairement signifié que dans la présente tournée de Springsteen et du E Street Band, lancée à l'automne en Amérique du Nord, poursuivie en Europe et, après un hiatus de deux mois et demi, relancée ces jours-ci dans nos parages et s'arrêtant ce dimanche au Centre Bell. Ainsi tous les spectacles jusqu'ici ont-ils commencé de la même façon: Bruce, dans le noir, qui hurle «Is there anybody alive out there?» une fois, deux fois, trois fois, et quand ça répond assez fort, bang, le E Street démarre Radio Nowhere, la chanson de l'album Magic qui a précisément pour leitmotiv cette question. Imaginez une batterie d'auto à plat, dont on brancherait les cathodes sur une centrale électrique. Fulgurante sensation.

Pas besoin d'être fan fini pour ressentir ça. Prenez Eleni Mandell. La chanteuse-culte de L.A. ne court pas les amphis sportifs, c'est pas son truc. En entrevue l'autre jour, à l'occasion de son passage en ville, elle a évoqué sa première expérience à vie du show Springsteen, toute récente, fin octobre au L.A. Sports Arena. «C'était totalement inspirant. He really blew my mind. Pouvoir tant donner à tant de gens à la fois, donner quelque chose de valable, de vrai, dans une telle situation, c'est incroyable. L'énergie qu'il dégage, la joie qu'il semble de toute évidence prendre à être là, le plaisir qu'il procure, je ne connais pas d'autres artistes de cette envergure qui soient capables de ça. Quand il a joué Born To Run! Wow! Ça m'a rappelé que ça peut être vraiment puissant, un concert de rock, et parfois pour les bonnes raisons!»

Cette expérience, le collègue Philippe Rezzonico du Journal de Montréal l'a vécue 21 fois. Cinq ou six en service commandé, pas plus. Les autres fois, c'était à ses frais, de New York à Londres à Paris. Pourquoi si souvent, et tout partout? «Parce que chaque fois ça me gonfle à bloc pendant des semaines. Et parce que chaque spectacle est différent: tout est possible. Encore aujourd'hui, si ça lui prend, son show minimum de deux heures et quart peut en faire trois, et la liste des chansons n'est jamais coulée dans le béton.» Souvent, Sprinsgteen «appelle» les titres, et le E Street, banque vivante, les lui fournit à volonté. «Il y a des chansons qu'il fait seulement dans certains endroits: si tu veux l'entendre jouer Jersey Girl, tu vas le voir au New Jersey.» Il y a aussi des foules plus démonstratives qu'ailleurs, et Bruce réagit d'autant: «À Paris, c'était hallucinant! Je n'ai jamais entendu une foule entonner The Promised Land plus fort. Qu'est-ce qu'on hurlait!» Entendez: qu'est-ce qu'on était en vie!

Oui, ce spectacle a quelque chose de la ferveur du gospel, et Springsteen n'a pas attendu Barack Obama pour proclamer la bonne nouvelle. Depuis 1998 et le retour à l'active du E Street Band, il y a toujours dans les spectacles ce moment où il harangue son monde. Citons-le (tel que traduit par Hugues Barrière et Mikaël Ollivier dans leur livre Bruce Frederick Springsteen): «Emmenez-moi à la rivière, lavez-moi dans l'eau. [...] Je veux trouver cette rivière de résurrection, où chacun obtient une seconde chance, s'il y travaille. [...] Je ne vais pas vous promettre la vie éternelle, mais je peux vous promettre la vie... tout de suite!» Bon spectacle.

Collaborateur du Devoir

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