Tannhäuser à l’OSM - Le combat des pulsions et de la raison

En programmant Tannhäuser de Wagner en version de concert, Kent Nagano donne cette semaine à la métropole ce que l’Opéra de Montréal, en raison de son budget, ne pourrait pas lui offrir.

Les grands projets sont l’une des marques du «style Nagano», et ce Tannhäuser en est un. D’abord, parce qu’il s’agit d’un gros opéra, de plus de trois heures. La première exécution à Paris, en mars 1861, nécessita plus de 160 répétitions. Mais l’opéra en lui-même date de 1845 et fut créé à Dresde. Pour Paris, Wagner révisa de fond en comble la première scène, qui se déroule dans la grotte de Vénus. On désigne souvent ainsi une «version de Paris» et une «version de Dresde». Kent Nagano, lui, mélangera les deux…

De vieilles légendes
Le livret de Tannhäuser, écrit par Wagner lui-même, est nourri de vieilles légendes et de sources diverses. Le sous-titre est «Le tournoi de chanteurs à la Wartburg». La Wartburg est un château. Le Landgrave de Thuringe, qui y réside, aime organiser des joutes vocales. Nous sommes au XIIIe siècle et les troubadours du coin se mesurent lors de ces concours.

Tannhäuser en faisait partie, jadis. Mais il avait disparu. L’acte I nous révèle où il était: dans la grotte de Vénus (le Venusberg), à la recherche de plaisirs charnels infinis. Lassé, il voulait retrouver le monde réel et la nature. Vénus l’aurait retenu, mais, à l’invocation de la Vierge Marie, son enchantement avait disparu. À la fin de cet acte I, ayant retrouvé la terre ferme, Tannhäuser rencontre la suite du Landgrave, dont fait partie son concurrent, mais ami, le troubadour Wolfram von Eschenbach. Wolfram l’attire au château en invoquant le nom d’Élisabeth, la nièce du Landgrave, dont Tannhäuser est épris.

Acte II: Élisabeth est, de longue date, amoureuse de Tannhäuser. Elle préside le tournoi dont le thème est l’exaltation des vertus de l’amour. Wolfram chante l’amour pur et spirituel, Tannhäuser prône la sensualité, un troisième concurrent, Walther, chante la vertu, et le conservateur Biterolf, l’honneur… Une joute s’engage, jusqu’à ce que Tannhäuser s’emporte et évoque les voluptés et la grotte du péché. Sacrilège: il est banni et condamné à un pèlerinage à Rome. Élisabeth prie pour lui.

Le troisième acte voit le retour de Tannhäuser. Il a été jugé dépravé par le pape qui ne l’a pas absout. Puisque même la repentance n’a servi à rien, Tannhäuser veut donc retourner au Venusberg, pensée qui s’évanouit lorsque Wolfram prononce le nom d’Élisabeth. Mais celle-ci arrive, portée par un cortège funèbre: elle est morte et Tannhäuser meurt à ses pieds.

Au-delà de l’histoire
Tannhäuser est, après Rienzi et Le Vaisseau fantôme le troisième «grand opéra» de Wagner. Il ouvre la porte à la complexité musicale et psychologique de ses chefs-d’oeuvre. La magie de Tannhäuser est renforcée par la réécriture du début, quinze ans après la création. Le contrepoids de la luxure (Vénus) face à la pureté (Élisabeth) y est encore plus travaillé, équilibré. Le dilemme entre les pulsions et la raison (l’oscillation de Wagner lui-même entre le sacré et le profane) est donc entre plus douloureux.
Comme l’a parfaitement résumé le musicologue Ulrich Drüner: «La signification de la tripolarité Vénus-Tannhäuser-Élisabeth est très complexe. L’identification médiévale du paganisme et des mythes de la nature avec Vénus fait comprendre pourquoi le culte du Venusberg est considéré comme un péché inexpiable. Ce n’est pas seulement le péché de la chair […]. C’est pire: Vénus est la négation même du christianisme.»
Aux questions de l’Homme et de la religion s’ajoutent celles de la place et des aspirations de l’artiste. Car Tannhäuser luttant contre les conventions, c’est aussi Wagner revendiquant le droit de rechercher un art nouveau…

Collaborateur du Devoir

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