Disque - La métamorphose de Tomas Jensen

Rien n'est acquis. Après sept ans d'aventure dans la chanson sociale déclinée en mode festif ou plus exploratoire avec les Faux-Monayeurs, Tomas Jensen creuse au plus profond de lui-même, se refait une beauté et lance Quelqu'un d'autre, un album qui fait apparaître un visage complètement nouveau de lui.
«Le titre met en relief ma volonté de changement et fait référence à des éléments de ma vie privée. C'est aussi une chanson de l'album. Ce quelqu'un d'autre n'est pas forcément moi, mais le con de quelqu'un d'autre. On est toujours celui de quelqu'un d'autre et c'est comme si je dédiais cette chanson à ceux dont je suis le con.»Ce «quelqu'un d'autre» est représenté visuellement à partir d'une série de photos-montages à la Frankenstein. Un concept qui reflète la permutation musicale de l'artiste, qui a fait appel à François Lalonde pour la réalisation d'un album au sein duquel l'électronique s'intègre superbement aux percussions et aux cordes. «Récemment, j'ai beaucoup écouté d'électro, de ragga, de drum'n'bass et de hip-hop. En remarquant comment sont placés les éléments. Au départ, j'ai donc abordé François avec l'idée de l'alliage de l'électro et des percussions. L'ajout des cordes vient de lui.»
Des cordes avant-gardistes. Avec toujours beaucoup de textures. Arabisantes et à l'unisson comme dans un orchestre du Caire. Dissonantes parce que découpées et triturées à partir du travail d'un vrai orchestre de cordes, qui avec deux violoncelles, deux altos et trois violons souligne le côté sombre des cordes. Des cordes arrangées de manière contemporaine par Guido del Fabbro, de façon cinématographique avec de grandes nappes sonores par Guido del Fabbro, calquées sur les lignes d'une flûte traversière basse par Jean Derome ou de façon intensément dramatique par François Lalonde.
Et ces percussions rythmiques et mélodiques qui donnent le ton à la cadence ou la rendent bellement sensuelle, triste, mélancolique, impressionniste. Des percus tous azimuts et de toutes les couleurs (par exemple marimba, vibraphone ou glockenspiel) qui permettent tellement de contrastes avec les échantillonnages. Folk électro intimiste, légers emportements, moments syncopés et quelques rappels discrets de latino et de dub, musique actuelle aux accents pop, respirations nostalgiques, passage légèrement funky et harmonies vocales façon... Beatles dans la dernière pièce: on entre dans le nouveau monde de Tomas Jensen.
La transformation paraît également dans le propos de l'auteur. «Si à l'époque je n'arrivais pas à écrire une chanson sans faire référence à la politique, je ne parviens maintenant à composer que si la chanson m'amène à l'amour ou à un thème plus personnel, expliquera-t-il. Mais cela n'empêche pas que le disque puisse être qualifié d'engagé. Certaines chansons abordent des sujets sociaux et philosophiques. La palette est simplement plus large qu'auparavant.»
Pour la première fois, Tomas met en évidence les choses de la vie, le film des événements d'une journée, les émotions d'un instant précis, l'amour perdu. Mais le questionnement subsiste. «La vérité n'est qu'une rêverie», chante-t-il sur Rien en dessous après s'être moqué de tous les concepts sérieux, religieux et politiques. Plus loin, sur la pièce titre de l'album, il lancera: «Je ne suis sûr de rien et c'est peut-être la chose qui me rend le plus humain», ou, par la suite, sur Oublie: «Je ne crois en rien et c'est tant mieux. L'Humanité, c'est comme Dieu. Moi je ne l'ai jamais rencontrée.»
Et pourtant, ce côté parfois nihiliste et même cette ironie exprimée sur À l'avenir n'empêchent en rien... l'humanité justement. «Oui, le doute rend humain. Lorsque tu crois, tu atteins la certitude et arrêtes de chercher», affirme celui qui dorénavant chante plus bas, dit plus doucement, joue avec les teintes du chanté parlé, parfois à la frontière du slam et du monologue rythmé. L'opération est réussie.
Collaborateur du Devoir
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- Quelqu'un d'autre de Tomas Jensen sera disponible en magasin à partir du 21 janvier.