Vitrine du disque
Compilation - Goin' Home, A Tribute To Fats Domino, Artistes divers, Vanguard - Fusion III - Pas moyen que ce soit mauvais, se dit-on. Du Fats, c'est gagné d'avance, ça balance d'office. Et puis, une telle densité de pointures au mètre carré, la royauté en personne (sir Paul, sir Elton, B. B. King), les crédibles des crédibles (Taj Mahal, Neil Young), ça ne peut que lever haut. Qui plus est, l'intention est louable: la Tipitina's Foundation récoltera. Et pourtant, c'est tout juste si ça flotte. Pas de quoi submerger une digue. Au mieux, on donne dans le karaoké d'élite: McCartney, avec Allen Toussaint, s'acquitte honorablement d'I Want To Walk You Home, Tom Petty réédite I'm Walkin' telle quelle, etc. Au pire, on dénature, on défigure: Herbie Hancock et divers acolytes avilissent I'm Gonna Be A Wheel Someday en fusion funky-jazz, Elton John ne se rend même pas compte qu'il est en train d'abrutir Blueberry Hill, et même Neil Young inonde Walking To New Orleans de cordes et de choeurs. Pour une Norah Jones de bon goût et un Los Lobos dûment enlevant, trop d'enflures signées Lenny Kravitz, Robert Plant, Bonnie Raitt. Beau cas de sélection: bonjour iTunes. - Sylvain Cormier
Variétés - L'anthologie 50 chansonsMichel Louvain, XXI - Apex - Universal - Dep
Elle en impose un max, la photo en noir et blanc, au recto du boîtier. Chic et sobre. Du noir et blanc étudié, savamment éclairé, portrait sans doute tiré par Gaby ou Jac Guy. C'est Louvain l'idole, à la fin des années 50. Logique, ce coffret célèbre les 50 ans de carrière de l'entertainer: il s'agit de rappeler qu'il fut cool, Louvain, notre Paul Anka, notre Johnny Mathis. En 50 titres répartis sur deux disques, on comprend aussi que le souci de plaire a été chez Louvain l'impératif suprême: les orchestrations des années 50 et 60 sont irréprochables (ça se gâte un peu dans les années 70, comme pour tout le monde). On goûte les Louise, Sylvie, Auprès de ton coeur et autres Chapelle au clair de lune comme on siroterait un martini tout en feuilletant les 52 pages du livret, farci de portraits chic et d'artéfacts reproduits, contrats, magazines, boîtiers de bandes maîtresses. Une monographie signée Richard Baillargeon dit presque tout. Ne manquent que des renseignements sur les chansons mêmes, à commencer par les auteurs et compositeurs. Sinon, c'est parfait. La grande classe. - Sylvain Cormier
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Classique - KORNGOLD
The Sea Hawk (intégrale de la musique de film, 1940). Deception (1946). Choeur et Orchestre symphonique de Moscou, William Stromberg. Naxos 2 CD 8.571110-11.
Naxos est aujourd'hui, avec sa série «Film Music Classics», l'étiquette qui porte le plus d'attention aux grandes musiques de films hollywoodiens des années 40 et 50. Le sujet n'est pas marginal puisqu'on retrouvait dans les studios à cette époque quelques créateurs majeurs qui avaient fui l'Allemagne nazie, qui les considérait comme des dégénérés. Waxman, Steiner et Korngold ont exporté en Californie — et, via Hollywood, à travers le monde — une certaine idée de la musique à programme post-romantique. Des extraits de la musique de The Sea Hawk de Michael Curtiz (avec Errol Flynn) avaient déjà été enregistrés par André Previn pour DG. Voici en première mondiale la trame sonore intégrale, complétée par celle pour le film Deception (avec Bette Davis), qui contient la version originale du Concerto pour violoncelle de Korngold. Naxos a profité de cette actualité pour transférer à son catalogue trois autres CD dirigés par William Stromberg précédemment parus chez Marco Polo, notamment la musique de Max Steiner pour Le Trésor de la Sierra Madre. - Christophe Huss
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Monde - Maestro Of The Indian Flute
Hariprasad Chaurasia, Double CD, Times Square - Fusion III
Pandit Hariprasad Chaurasia est un des plus grands flûtistes au monde et un des solistes les plus brillants de la musique hindoustani de l'Inde du Nord; le pandit, celui dont le nom est devenu sur la planète entière synonyme de son instrument, le bansuri. Cette petite flûte de bambou percée de seulement quelques trous, Chaurasia en joue avec énormément de finesse et de fluidité. Mais on se demande s'il s'agit vraiment d'un jeu tellement il semble méditer en interprétant ses ragas. La dimension spirituelle prédomine, aussi bien quand il innove, comme il le fait sur le premier disque, que lorsqu'il s'en tient fidèlement à la tradition, comme cela transparaît sur le deuxième. Pour l'oreille occidentale contemporaine, tout semble couler de source indienne sans le moindre compromis. N'oublions toutefois pas que lorsque les Beatles avaient introduit le sitar en 1967, il avait intégré la guitare acoustique et le santoor, et les puristes l'avaient dénigré. Tout cela est expliqué et entendu sur ce magnifique disque qui retrace l'association de Chaurasia avec Saregama India Limited, la maison de disques la plus ancienne du pays. - Yves Bernard
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Trad - À L'ANNÉE
De Temps Antan, Indépendant
Tous trois passeurs de répertoires inédits, on les appelait «les trois jeunes de La Bottine» depuis les départs d'Yves Lambert et de Michel Bordeleau, jusqu'à ce qu'André Brunet ne la quitte à son tour pour se joindre au Celtic Fiddle Festival, une formation de haute renommée dans le monde celtique. Nommé De Temps Antan à cause de son caractère éphémère, ce power trio trad s'est fait prendre à son propre jeu et a dû répondre à la demande qu'il avait bien involontairement créée. Mais le violoniste André Brunet, le chanteur multi-instrumentiste Éric Beaudry et le chanteur-accordéoniste Pierre-Luc Dupuis rayonnent parmi les meilleurs musiciens de leur génération. Ils sont du genre à blueser le trad à la bottleneck ou à recouvrir une pièce comme La Bizoune de ses plus beaux habits folk. Pierre-Luc se spécialise dans le chant festif à répondre; Éric, dans la complainte et autres chants profonds. Sur l'album, il se paye une bonne traite de bouzouki et de mandoline qu'il ajoute à la guitare alors que, de son côté, André manie les archets comme un train d'enfer, brassant ou rythmant les mélodies avec autorité. En concert dimanche soir au Club Soda, De Temps Antan s'avère une fort belle découverte. - Yves Bernard
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Classique - DEBUSSY
L'oeuvre pour piano (vol. 1): Les Préludes, Livres I et II. Jean-Efflam Bavouzet (piano). Chandos CHAN 10421 (SRI).
Voici donc, reçu et chroniqué a posteriori le premier volume de l'intégrale Debussy dont le deuxième volume nous avait tant impressionnés il y a quelques semaines. Tous les ingrédients sont déjà réunis ici: la beauté de l'instrument, son réglage et sa captation sonore ainsi que la capacité du pianiste à créer des atmosphères bien au-delà des notes. Ce disque regroupant les deux livres de Préludes fait partie des meilleurs choix en la matière, aux côtés de Benedetti-Michelangeli, Austbø, Ader, Osborne et quelques autres. Parmi les plus beaux, on trouve les préludes lents ou calmes, comme La Fille aux cheveux de lin. En effet, Bavouzet, très vivant, ne fige jamais le discours en une attitude contemplative. De manière générale, l'élan d'ensemble l'emporte sur des contrastes de mouvement. Les cinq dernières notes des Collines d'Anacapri ne sont pas «très retenues», comme demandé par Debussy: Bavouzet pense sans doute que cela pourrait faire «poseur». Nul doute que si vous avez acheté le deuxième volume, vous aurez envie de découvrir celui-là. Et vous ne le regretterez pas. - Christophe Huss