Musique - À la redécouverte de Vivaldi
Jusqu'à un passé récent, même si la prolixité d'Antonio Vivaldi était notoire, le contact du public avec l'oeuvre du «prêtre roux» se limitait essentiellement aux Quatre Saisons, à quelques cycles de concertos, au Gloria et au Stabat Mater. Depuis le début de la décennie, les initiatives discographiques se multiplient pour faire connaître et reconnaître un autre Vivaldi et élargir nos perspectives.
L'entreprise la plus marquante en la matière est de toute évidence l'intégrale Vivaldi (1678-1741) entreprise dès la seconde moitié des années 90 par l'étiquette Opus 111 en collaboration avec l'Institution pour le rayonnement musical piémontais. Cet organisme et l'éditeur français ont notamment pour objectif de valoriser la collection Vivaldi de la Bibliothèque nationale universitaire de Turin, qui renferme, nous dit-on, 450 compositions manuscrites.L'édition «Vivaldi - trésors du Piémont» comprend déjà plus de trente parutions et le volume 32, qui vient de paraître, est l'un des plus réussis. Il s'agit de l'opéra Griselda, un dramma per musica créé en 1735. Pour vous donner une idée de l'étendue du travail éditorial, entrepris par Opus 111 et repris aujourd'hui par Naïve, qui a racheté cette entreprise, il s'agit là du huitième opéra édité dans le cadre de cette édition.
Vivaldi et l'opéra? Voilà bien un thème largement caché jusqu'ici aux oreilles des mélomanes. Les seuls noms d'opéras de Vivaldi vaguement connus étaient Juditha triumphans et Orlando furioso. Griselda, un sujet également traité par Alessandro Scarlatti, a été confié à Jean-Christophe Spinosi et à son Ensemble Matheus. Le rôle-titre y est superbement tenu par Marie-Nicole Lemieux, associée notamment aux sopranos Veronica Cangemi et Simone Kermes et au contre-ténor Philippe Jaroussky. Cet opéra de Vivaldi est un feu d'artifice d'une grande exigence vocale au niveau, notamment, des vocalises (ou mélismes). Spinozi tient l'ensemble avec une puissance dramatique remarquable et la distribution est tout simplement optimale. Marie-Nicole Lemieux traduit parfaitement la simplicité chaleureuse et la noblesse d'âme de la bergère Griselda devenue reine et mise à l'épreuve par son époux.
Si vous aimez les opéras de Haendel, il n'y a aucune raison d'ignorer ceux de Vivaldi, et celui-ci est un bon point de départ pour faire connaissance. Si vous l'appréciez, vous pourrez poursuivre la découverte avec Tito Manlio, publié précédemment et dans lequel chante une autre Québécoise: Karina Gauvin.
Redécouvertes
Un autre opéra, redécouvert en 2002 dans une bibliothèque de Berlin, a été enregistré par l'étiquette Archiv. Le fonds de la Berliner Sing-Akademie, réputé détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, avait été sauvé par l'armée soviétique, stocké en Ukraine, et il fut restitué à l'Allemagne en 2001. La «résurrection» de l'opéra Motezuma avait ensuite fait l'objet d'une rocambolesque saga judiciaire. Voici enfin l'objet à la portée de tous.
Il faut souligner que Motezuma n'a pas été retrouvé dans son intégralité, mais seulement aux deux tiers. Chef et musicologue ont donc puisé dans d'autres ouvrages, dont Farnace, Tito Manlio et... Griselda (choeur conclusif), des airs permettant de finaliser un ouvrage susceptible d'être représenté et enregistré. Cette anecdote ajoutera de l'eau au moulin de ceux qui prétendent que tout Vivaldi se ressemble...
Il Complesso Barocco livre dans Motezuma l'un de ses meilleurs enregistrements, avec à sa tête Alan Curtis, dont le Vivaldi est évidemment plus poli et plus élégant que celui de Spinosi, un chef plus vif et exalté. L'excellente distribution sert un ouvrage à l'intrigue rocambolesque mais d'écoute agréable, qui n'est pourtant en rien la «redécouverte de l'année 2006» qu'on nous promet. À écouter tout de même, dans la distribution, l'étonnante Inga Kalna, qui campe un général mexicain pour le moins bouillant.
Musique instrumentale et sacrée
La musique sacrée, elle aussi, a été bien traitée ces derniers temps. La récente intégrale de Robert King, réunie en coffret par Hyperion il y a un an, est véritablement la solution de rechange tant attendue à l'édition vieillie de Vittorio Negri chez Philips. C'est une boîte très recommandable. Par ailleurs, Archiv fait la promotion d'un nouveau Dixit Dominus, le troisième connu de Vivaldi, redécouvert en 2005. Cette oeuvre tardive, à peu près contemporaine de Griselda, est là aussi fort plaisante, mais n'apporte rien à la connaissance profonde du compositeur. Sur le disque, très bien défendu par un ensemble peu connu de Dresde, cette composition est couplée à des oeuvres de Baldassare Galuppi. Les spécialistes et curieux pourront s'y intéresser.
S'agissant de la musique instrumentale, vient de nous parvenir une nouvelle intégrale des Sonates pour violoncelle par la Française Ophélie Gaillard. Discrètement soutenue par un continuo assuré par l'Ensemble Pulcinella, la violoncelliste séduit par l'équilibre, la justesse et la très adéquate humilité de son interprétation. Cet album, sans conteste l'intégrale de référence, publié par Ambroisie, comporte également un supplément DVD.
Et pour finir, un incontournable: la poursuite — chez Archiv, après un début chez Sony — de la révélation de concertos pour violon inédits par Giuliano Carmignola et Andrea Marcon, deux complices de toujours, si parfaitement au fait du style vivaldien, dans la subtilité comme dans l'exubérance. C'est un disque exceptionnel où, comme dans Griselda, rareté ne rime pas avec banalité.
Collaborateur du Devoir
***
Nos recommandations
- Griselda. Opéra (1735). Ensemble Matheus. Naïve, trois CD OP 30419 (distr. Naxos).
- Sonates pour violoncelle (intégrale). Ophélie Gaillard, Ensemble Pulcinella. Ambroisie, deux CD AMB 9992 (distr. SRI).
- Concertos pour violon RV 190, 217, 303, 325 et 331. Giuliano Carmignola. Archiv 477 6005.
- La Musique sacrée (intégrale). Robert King Hyperion, 11 CD CDS 44171/81 (distr. SRI).