DVD - Là où mène la foi aveugle
Neuf mois. Le temps d'accoucher d'un album et puis voilà. Blind Faith est dans l'histoire du rock l'équivalent d'une aventure extraconjugale. L'amour fou, le beau bébé, le désenchantement, la rupture, tout y est. Ça commence en février 1969: quatre musiciens se trouvent, jamment et croient qu'ils détiennent la clé du bonheur. Le nom qu'ils se donnent est prophétique: Blind Faith. Foi aveugle. La vérité est que chacun sort à peine d'un mariage ayant mal tourné: Stevie Winwood de Traffic, Rick Grech de Family, et le tandem Eric Clapton-Ginger Baker de Cream. Des pas-n'importe-qui. Union bénie des dieux?
Vite fait, la presse affuble Blind Faith d'une appellation pompeuse: «supergroupe». Grosses attentes. En juin, deux mois avant la sortie de l'éponyme enfant, on organise en catastrophe un spectacle gratuit dans Hyde Park (un mois avant celui, plus fameux encore, des Stones). Le groupe n'est pas rodé, Clapton boude, bref, c'est pas la joie. Les 100 000 spectateurs sont extatiques quand même. Une tournée américaine suit, l'album paraît. Gros succès, à la hauteur des attentes. Blind Faith est numéro un partout, avec controverse à la clé: la pochette de l'album montre une adolescente seins nus, maquette d'avion en main, bigre, alerte au phallus. Le coup de pub ne nuit pas au succès, vous pensez bien. S'agit de capitaliser. Crotte, les gars reviennent de tournée tout désillusionnés: décidément, ça ne colle plus. Dissolution en octobre.De l'à-peu-près, mais...
Une telle brièveté nourrit la légende: tant de talent à la même enseigne, tant de bonnes chansons sur le même disque, on n'a jamais connu ça depuis. D'où une curiosité certaine envers ce DVD, transfert numérique inespéré du film 16 mm tourné durant le baptême de scène de Blind Faith, le 7 juin 1969 à Hyde Park. On avait l'album (réédité en version «deluxe» en 2001), mais pas d'images: Blind Faith en show, même du Blind Faith pas rodé, ça ne pouvait qu'être fantastique. Ce ne l'est pas. Clapton avait raison de faire la gueule: pas vraiment de cohésion, pas vraiment d'étincelles. De l'à-peu-près. Ce qui n'est quand même pas rien: l'à-peu-près de musiciens aussi fortiches vaut le meilleur de la plupart des autres. Et puis, comme on n'a que ça de Blind Faith, on savoure néanmoins. Can't Find My Way Home est vraiment approximative, la version jusqu'alors inédite d'Under My Thumb peu inspirée, mais Presence Of The Lord et Sea Of Joy sont plus que potables.
Et puis les images sont belles, malgré le montage un peu énervant de l'époque: le morcelage de l'écran en points de vue simultanés, façon Woodstock et Elvis: That's The Way It Is, est alors en vogue. N'empêche qu'on voit ce qu'on veut voir: les doigts de Clapton sur son manche, les baguettes en l'air de l'époustouflant Baker, le visage encore poupon de Winwood. Et moult hippies au paradis. Qui plus est, il y a des suppléments non négligeables: extraits d'entrevues avec les protagonistes, mise en contexte, diaporama, et surtout quelques films promotionnels d'avant Blind Faith. Le clip noir et blanc du Spencer Davis Group (le premier groupe de Winwood) vaut l'achat à lui tout seul: les images qui illustrent I'm A Man saisissent idéalement l'ambiance du Swinging London de 1966. Et le clip couleur de Hole In My Shoe, avec ses mille images superposées de Traffic, est un véritable trip d'acide estampillé 1967. Le clip de Cream, tiré du spectacle d'adieu au Royal Albert Hall en 1968, n'est pas moins impressionnant parce que bien connu. Oui, Clapton jouait comme un dieu. Même quand il boudait.
Collaborateur du Devoir
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LONDON HYDE PARK 1969
Blind Faith
Sanctuary - RSO