Musique classique - Quatre chanteuses à l'épreuve du disque

C'est la grande tendance de l'automne: le récital discographique de chanteuses. Quatre disques, dont trois avec accompagnement d'orchestre, et deux originaires de la ville de Québec, sont parus en quelques semaines.

Voici en lice Vivica Genaux, Measha Brueggergosman, Karina Gauvin et Aline Kutan. Seule la première n'est pas Canadienne, mais l'ensemble choisi par Virgin Classics pour l'accompagner est un fleuron de la ville de Québec: les Violons du Roy. La seconde, qui gagna le premier Concours musical international de Montréal, est soutenue par l'Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Yoav Talmi. À Montréal, Aline Kutan a droit au piano scintillant de Louise-Andrée Baril pour un récital de mélodies de Richard Strauss, alors que Karina Gauvin s'associe aux Boréades pour un disque consacré à Purcell. Tous ces disques n'ont pas la même valeur artistique, loin de là.

Alchimie à Québec

La couleur du mezzo de Vivica Genaux ne fera sans doute pas l'affaire de tous. La chanteuse tend parfois à reculer son émission dans le palais, mais le timbre est d'une richesse rare. La chanteuse a également été à la meilleure école en matière de style, celle de René Jacobs. Son aisance absolue dans les vocalises, son égalité et sa tenue de souffle sont les marques d'une chanteuse hors normes et ce CD, groupant des airs et des cantates de Haendel et Hasse, y rend bien justice.

Au chapitre Haendel, le bijou du disque est l'air de Ruggero extrait d'Alcina. Mais la plus grande surprise nous vient de la partie consacrée à Johann Adolf Hasse, un grand compositeur encore trop méconnu: quarante minutes de découverte d'un répertoire admirable, parfaitement adapté au timbre de Vivica Genaux. Vedette à parts égales de l'enregistrement, Bernard Labadie à la tête des Violons du Roy a mis un point d'honneur à peaufiner un accompagnement ciselé, dynamique et bondissant, qui nous fait jubiler. Le diapason «moderne», à 440, ne gêne jamais dans cette brillante prestation. Oui, les Québécois ont passé haut la main leur examen d'entrée d'artistes d'une major du disque.

Extase de pacotille

Les petits malins de CBC Records ont instillé dans le CD Extase, le mal nommé, une plage cachée, la quinzième, mentionnée nulle part et sans rapport avec le programme français récité par Measha Brueggergosman. Je n'irai pas jusqu'à imaginer que cette petite facétie vise à tester les critiques, pour vérifier s'ils sont capables d'écouter jusqu'au bout un disque sans intérêt... Inattendu effet boomerang, ce hidden track, un negro spiritual chanté a cappella, est la preuve par la musique que le reste n'est que de la conserve. Tout de même, à travers une montée en mélismes dans l'aigu, on y perçoit, tout aussi clairement que dans Berlioz et Massenet, la métallisation de cette voix au-dessus de ce qu'on appelle la «note de passage».

Measha Brueggergosman n'est pas une mauvaise chanteuse (son médium est très beau) et, en trois jours d'enregistrement, elle peut proposer un disque français, auquel elle ne comprend pas grand-chose mais qui se tient. Je suis davantage étonné par la grande faiblesse de la prise de son, qui pénalise l'OSQ en le plaçant au fond d'une acoustique résonante avec une sonorité pauvre et acidulée. On devine tout de même que la direction de Yoav Talmi est subtile.

À Montréal

Si pour Measha Brueggergosman un visuel très travaillé orne un disque inutile, pour Karina Gauvin, une photo hideuse cache un contenu magnifique. Je ne sais ce qui a poussé Karina Gauvin, chanteuse et femme de goût, à accepter de voir son disque illustré par les lubies d'une maquilleuse qui semble avoir fait des études de confiserie et d'un photographe qui a dû manquer le module «éclairage» de sa formation! L'image ainsi véhiculée — surtout en Europe — risque d'être aussi redoutable pour notre soprano que le plat de spaghettis qui illustrait jadis un disque vinyle d'Anna Moffo.

Tout cela est d'autant plus regrettable que le récital est suprêmement beau. Je suis émerveillé par la maturation vocale de Karina Gauvin et nous évoluons ici dans le même état de grâce que lors de l'Alcina de Haendel dirigé par Bernard Labadie en 2004. Les lignes longues, le vibrato parfaitement dosé, le timbre chaleureux appartiennent à une grande chanteuse et le programme a été parfaitement choisi pour coller à ses moyens vocaux. À l'image du bouleversant Lamento de Didon, ce disque, idéalement accompagné par les Boréades de Francis Colpron, fait l'éloge de la patience, de la classe et de la chaleur humaine.

Quant au CD Strauss d'Aline Kutan, il pose grosso modo les mêmes problèmes que celui de Measha Brueggergosman, à l'exception — notable — que la voix est parfaitement menée, avec égalité et un timbre superbe. La grande question est: voulez-vous un disque de mélodies de Richard Strauss chantées par la voix post-juvénile d'une Zerbinette d'Ariane à Naxos ou par celle, mature et matriarcale, d'une comtesse du Chevalier à la Rose? Si vous répondez Zerbinette, et c'est votre droit, le disque d'Aline Kutan vous est destiné. Tout cela est léger, parfaitement chanté, bien appris, mais sans consistance. J'en resterai pour ma part aux comtesses qui, elles, ont marqué la discographie. À noter tout de même l'accompagnement de classe mondiale (écoutez Ständchen, plage 5!) de Louise-Andrée Baril.

Collaborateur du Devoir

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