Jean-Pierre Ferland victime d'un AVC - Partie remise pour les adieux

Les adieux seront pour plus tard: à la veille de son tout dernier spectacle à vie, prévu ce soir devant une salle archi comble au Centre Bell, Jean-Pierre Ferland a été victime hier d'un léger accident vasculaire cérébral (AVC) pendant une répétition à Montréal. Selon les informations disponibles au moment de mettre sous presse, le chanteur de 72 ans se serait senti mal (pression très forte) en arrivant à la salle de répétition. Il a rapidement demandé à être conduit à l'urgence de l'hôpital Saint-Luc, où il demeurait sous observation en fin de soirée. Sa vie n'est pas en danger: son était était stable, il était conscient et ne souffrait d'aucune paralysie. Il pourrait vraisemblablement avoir été victime d'un ICT (ischémie cérébrale transitoire), une forme de mini-AVC dont le rétablissement est rapide. Dans les circonstances, le spectacle de Jean-Pierre Ferland a toutefois été reporté. Notre collaborateur avait rencontré l'artiste lundi pour souligner sa retraite: il raconte cet entretien.
Imaginez l'accumulation d'émotions intenses. Il y aura eu la dernière première au Cabaret du Casino, puis la dernière tournée, 150 fois la dernière fois pour des dizaines de milliers de spectateurs. Et puis le dernier droit, au retour de l'été, les quelques derniers soirs avant la der des ders. Et puis les dernières entrevues, à chaque fois la dernière accordée à chaque journaliste. Et puis l'ultime spectacle, qui était prévu ce soir au Centre Bell. À chaque fois, le coeur gros, la tête haute.Un exemple? Je témoigne. Lundi dernier, c'est à L'Assomption que je le trouve, dans sa loge, juste avant un spectacle-bénéfice au Théâtre Hector-Charland. Ferland étreint ma douce aimée, venue avec moi pour l'entrevue. On s'étreint ensuite. Ferland serre fort. Je serre fort. Lui et moi accusons le coup. Vivons notre petite mort toute personnelle. Constatons l'indéniable: ça y est. La petite lumière rouge de l'enregistreuse est éteinte, c'est fini. Ma dernière conversation de journaliste avec Ferland l'artiste a vécu. Bonne chose, le régisseur vient le chercher pour le test de son. On se dit au revoir, Jean-Pierre nous invite, ma douce et moi, à sa cabane à sucre, au printemps. Ce n'est déjà plus l'artiste qui parle au journaliste. On est déjà après.
Cette scène des adieux, Jean-Pierre Ferland la vit depuis le début de 2005 et l'a vécue à chacun des 150 soirs de sa dernière tournée. Chaque soir a été le dernier soir d'un auditoire, d'un diffuseur, d'employés, chaque soir des lettres émues ont empli la loge, les fins se sont télescopées tellement il y en a eu. Pas de fausses fins à la Georges Guétary. Pas des fins élastiques à la manière d'Aznavour, qui se donne de fois en fois des échappatoires pour justifier un retour de plus. Des fins finales. Des fins sans revenez-y. C'est bien pour ça qu'il est venu tant de monde, que les supplémentaires se sont ajoutées aux supplémentaires, que Ferland a battu ses propres records d'auditoire partout. On y a cru. Ferland, si souvent cabotin, n'a pas fanfaronné sur ce point-là. Le point final, c'est le point final.
«Je pourrai pas changer d'avis. C'est du chantage si tu fais ça! Tu peux pas dire: "Hon, j'm'ai trompé... " Je ne pourrai pas revenir même si ça me tentait. Et c'est sûr que ça va me tenter. Certain! J'ai aimé ce métier-là à mort! Revenir, ça m'humilierait. Ça serait insultant pour les gens.» Et Ferland de lire une lettre parmi celles qui jonchent la table de maquillage. «Je perds mon idole de jeunesse, d'adolescence et de femme. J'ai le coeur brisé, pis j'ai pas le goût de rire. Vous partez, ça fait tellement mal... » Il sourit. Il est habitué, mais il a le regard embué quand même. «Ça fait quelque chose.» Euphémisme. «J'ai des sentiments mitigés sur tout ça. J'ai hâte que ce soit fini pour arrêter d'y penser. Je rêve à ça, je me lève avec ça, je me couche avec ça. J'ai hâte au Centre Bell parce que ça va être le spectacle de ma vie. Et puis, j'ai pas hâte parce que je sais pas comment je vais réagir en me levant [le lendemain]».
Petit silence. Je le voix dans ses yeux: il se projette à la fin de l'ultime chanson. «J'espère que je braillerai pas, c'est tout.» Et Ferland de déballer toute la mise en scène de la fin du spectacle. Comme pour désamorcer la charge, vider un peu le puits sans fond d'émotion. «J'ai travaillé tellement fort pour ma dernière shot, ma dernière chanson, ma dernière phrase, mon départ. Est-ce que je dis adieu ou au revoir? Est-ce que je fais une chanson spéciale? Je me suis posé toutes les questions. Et j'ai trouvé. Avant-hier.» Il lâche le morceau. Ça lui fait du bien. Pas moi. Je ne veux pas savoir. Vous non plus. Gardons-nous ça pour la dernière, quand elle viendra.
«Je vais te dire une chose: je pensais pas que les gens m'aimaient tant que ça. Parole d'honneur. Je suis tellement chanceux de vivre ça à temps, pendant que je suis encore bon, pendant qu'on me trouve encore bon. Je pense à Félix, aux derniers spectacles qu'il a donnés, les salles même pas à moitié pleines. Ça faisait pitié. Je me disais que moi, ce serait pas ça. Moi, c'est de salles pleines que je veux me souvenir. Et c'est ça que j'ai.» Fierté dans le ton. J'évoque Brel, qui a aussi eu le courage de partir au sommet. «J'ai assisté à son dernier soir à l'Olympia. Ça vibrait, c'était magnifique.» Il dit que Brel n'aurait pas dû revenir sur disque dans les années 70. «Moi, après la dernière chanson, that's it. Je n'ouvre plus la bouche. Même s'il me venait un flash extraordinaire, le meilleur flash de chanson de ma vie, je ne sors pas de disque. J'ai promis des chansons à Céline Dion, à Kevin Parent, je vais les faire. Quelques chansons et c'est tout. Si ça me tente, je vais finir d'écrire ma comédie musicale, Mrs. Simpson. Mais je ne rechante plus. J'irai même pas au lancement du DVD de la tournée et du spectacle.»
Bravo, lui dis-je. Je mentionne Reggiani, qui s'est accroché aux planches jusqu'à ce que mort s'ensuive. «Les artistes qui veulent expirer sur scène, je trouve ça laid. C'est pas poli. C'est pas joli. Faut être exhibitionniste en maudit. Ou mauditement malheureux dans le reste de la vie. Je ne trouve pas ça admirable. Quand je voyais M. Trenet, qui respirait avec difficulté, qui avait de la misère, je ne comprenais pas pourquoi il s'acharnait. Faire de la scène quand on n'est plus capable, c'est de l'acharnement thérapeutique.» Et Ferland de citer Vigneault. «Dans ma boîte vocale, vendredi dernier, il m'a laissé un message. Ça disait: "Ha! Ha! Ha! On passe sa vie à ne pas voir qu'on est vieux, mais chaque tournée est une tournée d'adieu..." »
Et après la fin? Après, il reste d'autres adieux encore. «On part en croisière, avec Robert Vinet et Ti-Guy Latraverse. Je ne travaillerai plus avec eux, c'est fini. Alors, c'est pour leur dire merci. Leur dire qu'ils ont été de bons imprésarios. On part de Venise, on fait l'Italie, Rome, après ça les îles grecques, la Corse, l'Espagne.» Et après ça? «Je me suis creusé un lac. Je fais de la moto. J'ai un petit bateau: j'aimerais ça aller sur le fleuve. Je vais m'ennuyer du métier, mais je ne vais pas m'ennuyer parce que j'ai rien à faire.»
L'entrevue touche à sa fin, selon l'expression consacrée. Je le regarde fixement, pour graver l'image. Il s'en aperçoit. Je bredouille je ne sais plus quoi. Grelots dans la voix. «Tu seras pas malade sur moi, toujours?» Sacré Jean-Pierre. Salut, Jean-Pierre. Merci, Jean-Pierre. À tantôt, Jean-Pierre.
Collaborateur du Devoir
Avec la collaboration de Guillaume Bourgault-Côté