Vitrine du disque
J'aime ce disque de Nicola Ciccone, comme j'ai aimé les trois autres. Ce gars-là est notre champion de la grande chanson populaire. Il ne cible pas le plus petit commun dénominateur social façon Lynda Lemay, pas plus qu'il ne calcule ses effets de la racoleuse manière d'un Bruel.
Aucunement populacier, foncièrement populiste, il ressent tout simplement les choses comme nous les ressentons. Contact direct. C'est pas compliqué, absolument pas second degré, ça traverse les clichés de bord en bord — sur la vie, l'amour, l'amitié, la solitude, la guerre — en les attaquant de front. Oui, c'est de la chanson sentimentale, en ce sens que c'est de la chanson qui a pour sujet les sentiments, mais sans mélo. L'approche est certes séduisante mais sans roucoulement. C'est donné sur des musiques sans surprise (des ballades et de la pop à tempo moyen, Ciccone ayant abandonné ses velléités de rock), mais l'impact n'en est pas amoindri: avec sa voix d'Adamo de chez nous, son phrasé franc et clair, son intensité sans outrance, il parvient à toucher. Ce n'est pas rien. C'est même admirable.Sylvain Cormier
Chanson
ROUGE SANG, Renaud, Virgin - EMI
Peinard en ménage, pétant de santé, Renaud a voulu montrer qu'il pouvait encore se fâcher tout rouge. Aussi clame-t-il: J'ai retrouvé mon flingue!, clin d'oeil à la glorieuse Où c'est qu'j'ai mis mon flingue, de Marche à l'ombre. Ça ne veut pas dire qu'il a retrouvé son visou. Tel un vieil ado dans une fête foraine qui s'échinerait au stand de tir pour offrir l'ours en peluche à sa dulcinée, le Séchan réussit peu de cartons et blesse moult passants avec ses balles perdues. Haro sur les bourgeois-bohèmes (Les Bobos), vlan sur les gauchistes passés à droite (Elle est facho), crac contre les fumeurs (Arrêter la clope!), merde à ceux qui font des farces sur les blondes (Ma blonde), la séance de casse-pipe lasse vite et, disons-le, confine au ridicule. Heureusement qu'il y a çà et là le Renaud à coeur ouvert tant aimé sur le Boucan d'enfer d'il y a quatre ans, capable de vraie tendresse (Les Cinq Sens) et de couplets poignants sur les parents vieillissants (Nos vieux). Il frappe bien plus fort quand il émeut que lorsqu'il abat. Notons le livret, splendide, signé Killoffer.
Sylvain Cormier
Jazz
Eighty-One, Bill Frisell, Nonesuch
Chaque semestre, le guitariste Bill Frisell signe un album. Toujours produit par Lee Townsend, publié comme d'habitude par Nonesuch. Chaque fois, l'abondance qui distingue cet instrumentiste aussi subtil qu'éclectique fait craindre une réduction de la qualité. Heureusement, ce n'est toujours pas le cas.
Pour mener à bien cette énième aventure, Frisell a fait appel à des musiciens réputés pour leur immense talent mais également pour leur connaissance sans faille du répertoire jazz. Il s'agit de Ron Carter à la contrebasse et de Paul Motian à la batterie.
En leur compagnie, Frisell met en relief les propriétés oubliées de deux compositions du capitaine Monk — Raise Four et Misterioso —, qu'il accompagne de pièces originales et de la populaire You Are My Sunshine. La caractéristique de cette production? Rarement a-t-on goûté un jeu aussi cristallin, aussi clair. Un bijou.
Serge Truffaut
Classique
MAHLER
Symphonie n° 2 «Résurrection». Orchestre du Festival de Budapest, Ivan Fischer. Channel Classics 2 SACD CCSSA 23506 (SRI). Orchestre philharmonique de Vienne, Pierre Boulez. DG 477 6004.
Voici deux nouvelles versions de la Symphonie «Résurrection» de Gustav Mahler... et la meilleure n'est vraiment pas celle qu'on croit! Le disque sinistre et laborieux d'un Pierre Boulez en panne d'inspiration est d'un ennui mortel. On n'y reconnaît rien: ni le Philharmonique de Vienne, qui ânonne le premier mouvement, ni Boulez, qui semble errer à travers l'oeuvre, notamment dans des volets centraux, ni les preneurs de son de DG, qui fournissent une image sonore molle et sans âme. À l'opposé, l'album d'Ivan Fischer a tout: une lecture aussi détaillée que celle de Gilbert Kaplan (DG) mais avec une vraie tension continue et un naturel désarmant, un orchestre totalement investi et un preneur de son qui livre (et en SACD, s'il vous plaît!) une captation parfaite. La construction dramatique du premier volet comme du finale rapprochent Ivan Fischer de la légendaire version de Zubin Mehta à Vienne (Decca). Les solistes Lisa Milne et Birgit Remmert, les meilleures entendues depuis longtemps dans cette oeuvre, contribuent au triomphe de ce disque de démonstration.
Christophe Huss
Classique
PIAZZOLLA, Les Quatre Saisons. Deux tangos pour cordes. Fuga y Misterio. Milonga del Ángel. La Muerte del Ángel. Pascal Giguère (violon), Benoît Loiselle (violoncelle), Les Violons du Roy, Jean-Marie Zeitouni. ATMA SACD2 2399.
Le bouillonnant Jean-Marie Zeitouni entraîne Les Violons du Roy sur des chemins de traverse dans Les Quatre Saisons argentines d'Astor Piazzolla, évident hommage à Vivaldi que Gidon Kremer avait, le premier, associé aux concertos du compositeur italien. Il s'agit ici d'un «vrai disque» de la part d'un chef qui connaît et aime Piazzolla et non pas d'une sinistre farce marketing comme le fut le CD de Charles Dutoit et de l'OSM publié en 2001 par Decca. Autre défi, pour Pascale Giguère cette fois: soutenir la comparaison avec Gidon Kremer. La violoniste québécoise s'en sort plus que bien. Aux fusées sonores lancées par Kremer et sa bande (CD Nonesuch), les Québécois opposent une interprétation très creusée, plus carrée, avec des appuis puissants, impression renforcée par une mise en forme multicanal (SACD) très spectaculaire, presque cinématographique. Les musiciens prennent très à coeur de dépeindre des atmosphères sonores si propres à Piazzolla et le font souvent avec de gros pinceaux. Mais la bonne volonté est patente et Milonga del Ángel est si magique...
Christophe Huss
Monde
DA QUESTA PARTE DEL MARE, Gianmaria Testa, Le chant du monde - Fusion 111
La voix de velours est toujours aussi délicatement éraillée. L'air est grave et le ton prête à l'intimité. Fidèle à ses habitudes, le cantoautori du Nord italien préfère le murmure et le chant chuchoté à l'électricité de la grande ville. Mais cette fois-ci, celui qui est devenu cheminot par instinct de liberté se place dans la peau d'un train qui arrive en retard quand tout est fini. L'auteur, lui, met en scène l'aventure forcée des nouveaux migrants: ceux qui partent pour ne jamais revenir et ceux qui ne pensaient pas devoir fuir la nuit en catimini, qui ont une langue à désapprendre, une autre à réapprendre vite. Ces voyageurs arrivent à destination d'un pas lent, à la recherche de ce qui manque. Mais tout leur manque, sauf leurs pieds, la route blanche ou la mer qui les guidera. Le disque est thématique et franchement contemporain. De formidables vieux potes tels le clarinettiste Gabriele Mirabassi, l'accordéoniste Luciono Biondini et, pour quelques pièces, l'invité Bill Frisell accompagnent patiemment les déplacements, portent tristement les exodes, rockent sans trop d'emportement, chaloupent les traversées, leur donnent de l'atmosphère. Le ton est juste et l'émotion bien rendue.
Yves Bernard