Chanson - Damien Robitaille et Damien Robitaille ne font qu'un

Les chansons de Damien Robitaille nous semblent à la fois tellement étranges et si étrangement familières.
Photo: Les chansons de Damien Robitaille nous semblent à la fois tellement étranges et si étrangement familières.

La plus belle, la plus troublante, la plus chamboulante chanson de L'homme qui me ressemble, le premier album majeur et vacciné de Damien Robitaille, arrive sans crier gare à mi-parcours, entre deux belles étrangetés drolatiques à la Damien Robitaille, Mon atlas et Amnésie collective.

C'est une ballade jouée au piano, qui s'intitule Astronaute: «Salut, Monsieur Astronaute, comment va mon père? / Est-ce que la vie est paisible là-bas dans l'univers?» On savait déjà Damien attachant, en même temps qu'un peu fou à lier, mais on sait maintenant ce que savaient ceux qui ont entendu la première mouture de la chanson sur son premier album, autoproduit en 2003 dans son Ontario d'origine, avant même que le concours OntarioPop ne lui paie une année d'apprentissage à l'École nationale de la chanson de Granby: comme disait de Tintin un moine tibétain, Damien a un coeur pur. «On l'a retravaillée un peu», précise-t-il entre deux répétitions en vue du lancement de mardi prochain. «Il y avait des fautes.»

Comme quoi c'est bel et bien le Damien Robitaille d'origine qu'on retrouve sur ce «premier» album paru chez Audiogram, son troisième si on additionne l'autoproduit et le mini-album «gagné» en gagnant les Francouvertes, dont nous vous parlions dans les meilleurs termes en novembre dernier dans cette page. «Mon père est mort d'un cancer de l'estomac», mentionne Damien sans qu'on lui demande si le père de la chanson est le sien. «Comme mon grand-père. C'est peut-être une affaire héréditaire. C'est mon destin!» Il éclate de son drôle de rire ponctué de hoquets. Je lui dis que j'ai entendu Astronaute pour la première fois aux FrancoFolies de Spa, qu'on a tous ri au début en l'entendant s'adresser à un astronaute, et puis qu'on a tous fondu en larmes quand on a compris pourquoi. «Je la chantais pas en spectacle avant. Je me disais: les gens vont trouver ça plate. Et finalement non, je me suis rendu compte que ça faisait du bien. À moi et aux gens aussi. C'est sain, je pense. Juste faire le bouffon tout le temps, c'est fatigant. Moi, j'aime beaucoup Hank Williams, et j'aime beaucoup ses chansons tristes. Moi, les chansons tristes, ça me rend heureux.» Il s'esclaffe. «C'est bizarre.»

Dans le milieu, nous avions un peu peur de ce qu'il adviendrait de Damien chez Audiogram. Atténuerait-on ce talent brut, à trop fignoler, à trop peaufiner? Eh bien non. C'est formidable: il y a un notable raffinement dans l'orchestration et une accentuation de la présence de Damien. C'est amélioré, plus intéressant à l'oreille, mais l'esprit n'est pas trahi. C'est encore Damien qui regarde la vie de ses drôles d'angles, du point de vue d'un porc-épic, d'un «voyeur planétaire» ou d'un rouge-gorge. «Y a pas eu de problème. On a travaillé avec le même monde que pour le mini-album.» Principalement JF Lemieux et Simon Godin. Ce disque est une extrapolation, pas un amoindrissement. C'est comme si on avait été dans la tête de Damien pour trouver d'autres sons qui iraient bien avec ses chansons. Ce qu'il appelle «le petit enrobage». Il y a toutes sortes de petits ajouts de percussions, de choeurs, de cuivres, qui rendent l'écoute fascinante tout en gardant la voix très en avant dans le mixage («On l'a refait, j'étais trop mêlé à la musique»), de sorte qu'on ne perd jamais de vue Damien et sa singulière manière de s'exprimer en chansons, entre la comptine enfantine hallucinée, la valse western détournée et la poésie décalée.

«J'aime ça, avoir plusieurs degrés, mais j'aime ça aussi quand c'est simple. On se casse pas la tête avec plein d'accords. Si ça ressemble pas trop à de la chanson normale, c'est peut-être que j'ai presque jamais écouté de chanson québécoise chez nous à Lafontaine [près du lac Huron, dans la baie Géorgienne]. Chez nous, on chantait des chansons de camp, des chansons d'église, des chansons de folklore comme La Bonne Chanson. Ma mère, c'est une pasteure. Elle fait des mariages, des funérailles... la messe. Mes chansons au piano, à la base, c'est comme des chansons d'église.»

Est-ce pour ça que les chansons de Damien Robitaille nous semblent à la fois tellement étranges et si étrangement familières? Damien rit encore. «Au Québec, c'est différent. Tu parles pas de religion. C'est devenu comme tabou. Moi, au contraire, ç'a enrichi ma vie.» Et ça le rend passablement unique: l'homme qui ressemble à Damien Robitaille n'est autre que Damien Robitaille.

Collaborateur du Devoir

L'HOMME QUI ME RESSEMBLE

Damien Robitaille

Audiogram - Sélect

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