Musique classique - Heureux de chanter

Entre New York, où il incarne Don Carlo dans l'opéra du même nom de Verdi, et Bilbao, où il sera le Manrico du Trouvère, du même compositeur, le ténor canadien Richard Margison effectue une escale dans sa résidence de Toronto, son port d'attache. C'est là que nous l'avons joint, reprenant son souffle, lui qui mène carrière aux quatre coins du monde des grandes scènes lyriques.

Jeune adolescent, Richard Margison aime la musique. Son idole: le chanteur folk Gordon Lightfoot. Alors, avec des copains, il fonde un groupe et se produit dans ce genre de répertoire pour, sans s'en rendre compte, se trouver une voix. Début de cours de chant. "J'ai eu une chance extraordinaire de pouvoir rencontrer un professeur de la trempe et de la générosité de Selina James." Première leçon de chant "classique" donc, de la manière la plus traditionnelle: "Elle m'a fait chanter les vieilles mélodies italiennes, entre autres, pour bien poser ma voix."

Comme il est originaire de Victoria, le chemin mène inévitablement à l'école de chant fondée par Léopold Simoneau et Pierrette Alarie. Après avoir chanté dans de petits rôles à l'opéra d'Edmonton, il s'inscrit donc à leur programme d'été, Opera Piccola. Les deux aînés sont tellement impressionnés qu'ils le prennent sous leur tutelle pendant près de cinq ans.

Ce sera cinq ans de maturation, de développement. La voix prend de l'ampleur, devient imposante et forte. Un vrai fort ténor verdien est en train de naître. Or on sait que, souvent, ce type de voix tend à s'alourdir. Comment éviter le piège? "Je continue à suivre les principes de Simoneau. Ce qui est important pour moi, ce n'est pas tant la puissance que le legato et la souplesse."

Pour cela, les chanteurs ont un mot: travailler le "coloratura". On associe souvent ce qualificatif aux seuls sopranos très aigus, du type Reine de la Nuit ou Lakmé. La vérité est tout autre. Coloratura, pour les chanteurs, veut dire souplesse et agilité, donc habileté à faire de rapides et belles vocalises, sans effort; il existe ainsi des basses coloratures (pensez à Haendel et à Rossini). C'est pour cela que Margison dit adorer travailler Donizetti, qui exige cette souplesse et cette agilité pour que le chant soit beau.

Alors, "tous les matins, je commence par chanter Ev'ry Valley[premier air du ténor dans Messiah, de Haendel] pour réchauffer ma voix. Je traîne un mauvais rhume depuis un mois, dont je n'arrive pas encore à me défaire, alors c'est un peu plus difficile en ce moment", ajoute-t-il en riant.

La simplicité du personnage est assez désarmante. On a presque l'impression de parler à un ami tant l'homme se montre d'abord franc et ouvert.

Question de puissance

À une époque où les salles sont immenses, certains ténors doivent forcer la voix et s'accrochent aux aigus si attendus du public, ces notes redoutables qui font ou défont leur réputation, auxquelles se suspendent bien des carrières. "Pour moi, ce n'est pas vraiment un problème. Contrairement à bien de mes collègues qui redoutent un peu ces hauteurs, moi, j'adore les notes aiguës. Je m'y sens très à l'aise, pourvu que je puisse les produire avec la souplesse de la ligne qui nous y amène. Alors là, tout devient naturel."

Il faut de la force? "J'ai de la chance; pour mon type de voix, cela vient spontanément, sans forcer justement, car je possède cette "stamina". Je tiens cependant davantage - même si je me répète - à ce que ma voix reste expressive, transmette le sentiment, voire l'émotion, que le frisson vienne de la manière de faire plutôt que du faire lui-même."

On parle beaucoup du baryton verdien, mais il existe aussi un ténor verdien. C'est là que, contrairement à son compatriote Ben Heppner, qui se sent plus à l'aise dans le répertoire allemand, il se délecte des grands rôles de Verdi. "J'aime chanter Manrico [Il Trovatore], Radamès [Aida], Otello et, bien sûr, Don Carlo." Son répertoire ne s'arrête pas là. Il a le tempérament des grands rôles véristes. Aussi, ajoute-t-il, "c'est toujours avec plaisir que je m'attache à des personnages comme Cavaradossi [Tosca] ou le prince Calaf [Turandot]". Ici, sa voix peut laisser libre cours à ce legato qu'il chérit et cultive tant. Comme il "adore être un ténor, ce sont des partitions où [il ne peut] qu'être heureux en les chantant". Et il aime aussi Max dans le Freischütz (Weber).

Vient alors l'inévitable question du répertoire français du XIXe siècle, qui revient à la mode en ce moment. "Oui, j'adore chanter Don José dans Carmen; c'est formidable non seulement pour la voix, mais aussi pour le théâtre." Comme il a déjà enregistré un disque d'airs et de duos français avec Lyne Fortin, la conversation glisse sur Massenet. "On ne le connaît pas assez, et c'est dommage. Peut-être que les chanteurs n'avaient pas la tessiture ou la technique pour rendre justice à plusieurs pages, mais il s'agit d'une musique où je me sens également très à l'aise car elle va chercher d'autres ressources de ma voix, plus subtiles. En plus, comme bien des rôles sont écrits relativement haut, je m'y sens encore plus chez moi."

Quel est donc son secret pour que tout cela se fasse sans que rien ne s'use: "Boire des gallons et des gallons d'eau", répond-il en s'esclaffant au bout du fil.

Concert et récital

Il faut bien passer par là: un chanteur d'opéra, souvent, aime se produire en concert ou en récital. Si le concert avec orchestre ne diffère pas trop de la présence à l'opéra, pour Margison, le récital est autre chose. "À l'opéra, la voix est importante, et il faut projeter l'émotion et le théâtre." Le travail s'effectue au sein d'une équipe (chef, metteur en scène, costume, théâtre, collègues) et il doit alors s'inscrire dans tout cela, sans toujours renier sa vision propre des choses.

Le récital, lui, sans que rien ne change dans sa voix, "devient une expérience plus intime". Il est seul à faire le choix et, si sur les planches il dispose de tout un attirail pour faire passer les choses, "en récital, le texte est tout à coup beaucoup plus au premier plan". "Je vous parlais d'un air de Haendel tout à l'heure, qui me réchauffe pour l'opéra. En contrepartie, quand je pense au récital, j'ajoute des mélodies de Duparc, surtout Phidylé, qui me mettent plus en contact avec cet univers, tant artistiquement que physiquement", explique-t-il. On voit le goût - et la technique -, hérité de Simoneau, pour la clarté et le naturel, et, surtout, l'importance qu'il y a à user de son instrument toujours avec la même aisance peu importe le contexte.

Lors de son passage à Montréal, ce sera donc un festin de ces deux aspects de l'art de Margison qu'on pourra entendre. Une première partie consacrée à des mélodies italiennes anciennes (dont le si connu Caro mio ben), du Duparc, du Beethoven et du Richard Strauss, "qui écrit magnifiquement pour ma voix", dit Margison. "Chanter Bacchus [Ariadne auf Naxos] ou L'Empereur [Die Frau ohne Schatten], ajoute-t-il, m'apporte toujours de grandes satisfactions."

Ensuite, il y aura une série d'airs d'opéra parmi les plus populaires, au sens noble du terme. Massenet, Verdi et Puccini seront à l'honneur. Quoi de mieux pour faire encore meilleure connaissance avec celui qui est réclamé - et acclamé - partout et qu'on n'a pu entendre ici qu'une seule fois, alors que, ironie du sort, il incarnait son cher Don Carlo sur la scène de l'Opéra de Montréal. À nous de partager encore les plaisirs qu'un grand artiste sait généreusement et joyeusement offrir, en toute simplicité.

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